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Il faisait très chaud et j’avais été m’asseoir, dans le palais même, sous le péristyle qui servait de communication entre le jardin et la cour. J’étais avec notre chef de bataillon, Henri Vieyra, homme de caractère énergique, et qui plus tard fut acteur vigilant, dans la nuit même du coup d’État. Pendant que nous causions, Changarnier, après avoir inspecté deux compagnies de chasseurs de Vincennes et une batterie postées près du Carrousel, vint causer avec Vieyra et lui fit quelques recommandations sur les dispositions à prendre en cas d’alerte. Vieyra lui dit : « Est-ce que nous n’allons pas profiter de l’occasion pour nous débarrasser de la République ? » Changarnier haussa les épaules et répondit : « Je lui ai proposé de le faire coucher, ce soir, ici même, aux Tuileries : il ne veut pas ; ah ! c’est un pauvre sire ; on n’en tirera jamais rien de bon ! » Lui, c’était le Prince Président.

Cette belle union ne dura guère ; dans le courant de 1851, Changarnier s’était déclaré l’adversaire de Louis-Napoléon et se portait en compétition contre lui. Que s’était-il passé entre eux ? Je ne le sais pas d’une façon positive, et j’ai entendu, à cet égard, plus d’un propos contradictoire. On m’a dit que les prétentions de Changarnier avaient été peu mesurées et que, pour prêter son concours à une restauration impériale, il demandait que l’on reconstituât en sa faveur la dignité de connétable. Cela n’aurait rien de surprenant, car il ne péchait point pas excès de modestie. Il est probable que le Prince Président, déjà certain de trouver dans l’armée des généraux prêts à partager sa fortune, ne s’était point soucié de devoir son élévation à un homme ambitieux qui, pour prix des services rendus, voudrait s’associer trop intimement au pouvoir et aux honneurs. En un mot, le prétendant se sépara d’un personnage qui pouvait être utile, mais qui deviendrait un embarras pour le pouvoir personnel.

D’autre part, on m’a affirmé que Changarnier aurait été victime des illusions d’une faction. Les députés qui rêvaient la réconciliation de la maison de France, qui cherchaient à opérer la « fusion », comme l’on disait alors, et que l’on avait surnommés « les Burgraves » étaient persuadés qu’ils touchaient à l’accomplissement de leurs vœux. Le comte Molé, Thiers, Charles de Rémusat et bien d’autres étaient les meneurs de ce groupe influent par les noms, par la fortune, par la situation sociale. Dans Changarnier, ils virent le