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de l’hôpital alors en construction, furent accueillis par des jets corrosifs d’acide sulfurique qu’on leur lançait à l’aide d’une pompe à incendie. Dans le temps, cela nous parut monstrueux ; nous ne savions pas alors que les chefs des mouvements futurs devaient écrire : « C’est la guerre barbare qu’il nous faut. Nous ne voulons ni réformer l’État, ni le conquérir : nous voulons le détruire. » Cet emploi des produits chimiques utilisés par l’émeute fut, en quelque sorte, le premier acte de la tragédie que l’on « répète » dans la coulisse, en attendant qu’on la joue sur la scène.

Le second acte, c’est la Commune. J’ai passé une nuit sur le toit de la maison que j’habite, saisi d’horreur et de dégoût, à regarder brûler Paris. J’évoquais dans mon souvenir tous les cataclysmes que l’histoire nous a racontés, et je n’en voyais pas de plus effroyable, de plus criminel. Je ne sais pourquoi je tenais invinciblement mes yeux fixés sur la flèche de la Sainte-Chapelle qui, parmi les flammes rouges, se dessinait comme un mince obélisque noir ; j’y avais attaché une sorte d’espérance confuse, et je me disais : « Tant qu’elle ne flambera pas, le Palais de Justice sera sauf. » Je savais ce que les greffes de celui-ci contenaient ; je connaissais les richesses à jamais perdues que renfermaient les archives de la Préfecture de police, celles de l’Hôtel de Ville, celles de l’Assistance publique. Les tourbillons, fouettés par le vent au-dessus des Tuileries, me laissaient croire que notre Louvre, cette gloire de tous les arts humains, allait s’abîmer à toujours. Un bruit strident et régulier venait jusqu’à moi, à travers les grands espaces : c’était le sifflement des gueuses de plomb fondu qui, coulant de l’entrepôt général de la Villette, faisaient bouillonner les eaux du canal Saint-Martin. Cette note aigre se détachait sur une basse continue qui était la crépitation des coups de fusil. Qu’est-ce donc que la