Page:Du Camp - Paris, tome 6.djvu/355

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

naires : « Il est venu à Paris en sabots et avec un écu de six livres dans sa poche ! » On ne se doute guère du nombre de gens qu’a perdus cette phrase banale si souvent répétée !

Parmi ceux qui entreprennent ce voyage à la recherche d’une destinée meilleure, les uns sont poussés par l’orgueil, qui est la conscience de ses propres forces, d’autres par la vanité, qui en est l’illusion ; beaucoup par esprit d’aventure, pour changer de milieu, pour gagner un peu plus d’argent, au hasard de ce que les occasions pourront offrir. Il n’y a qu’à regarder autour de soi pour comprendre que tous ces rêves de gloire et de fortune n’ont point été vains ; Paris doit à la province la meilleure, la plus noble portion de sa puissance intellectuelle ; mais, en revanche, quels éléments impurs et malfaisants n’en a-t-il pas reçus ! que de fois n’a-t-il pas roulé dans l’abîme sous l’impulsion de ceux dont il n’a pas consenti à réaliser les rêves outrecuidants ! En haine de la grande ville qui ne les avait point appelés, en horreur de ce luxe auquel ils aspirent et qu’ils n’ont pu atteindre, rongés par une envie incurable, mus par une vanité sans proportion avec leur capacité, poussés par une ambition sans rapport avec leur intelligence, ce sont ceux-là que l’on trouve à la tête des émeutes et qui grouillent dans les bas-fonds de toutes les révolutions.

Qui sont-ils ? Les fruits secs des lettres, de la politique et du barreau. Leur ignorance dépasse tout ce que l’on peut se figurer ; lorsque par hasard l’un d’eux a quelque lecture, il devient un objet d’étonnement pour les autres. Un de ces bohèmes était célèbre pour avoir lu Diderot : ses amis disaient : Il se nourrit de la moelle des lions. Le provincial haineux qui fait payer à Paris toutes les déconvenues de son amour-propre n’est pas rare ; dès que l’heure est trouble, il apparait et acquiert