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qui porte un nom célèbre de la Révolution, a écrit sur un album cette vérité frappante : « Les hommes se suivent et ne se ressemblent pas. »

Ce monde du négoce et de l’atelier, de la fabrique et des affaires, est passablement vaniteux, et cherche incessamment à s’élever au-dessus de sa condition ; les mots ont changé de valeur, et le sens, modifié au cours des générations qui se succèdent, finira par être méconnaissable. On semble rougir d’être ce que l’on est réellement, et l’on surcharge volontiers son étiquette. C’est la révolution de 1830 surtout qui, en donnant beaucoup d’importance à la bourgeoisie moyenne, a amené cette sorte d’hypertrophie du langage. Autrefois une boutique était une boutique, maintenant c’est un magasin ; le marchand est devenu un négociant, le comptoir un bureau, le garçon un commis, la pratique un client ; tous les apothicaires sont aujourd’hui des pharmaciens, et, quoiqu’il n’existe pas une seule conciergerie particulière, il n’y a que des concierges, et l’on ne trouve plus un seul portier ; les perruquiers se sont haussés au rang de coiffeurs ; l’un d’eux a été plus loin, et son enseigne nous apprend qu’il est « artiste capillaire ». Défaut de surface, qu’il était bon de signaler, mais qui ne touche en rien aux qualités sérieuses de ce peuple ; il est naturellement emphatique ; lorsqu’il parle de lui ou de ses œuvres, il aime à se faire valoir. Sterne l’a constaté depuis longtemps ; qui ne se souvient du chapitre de la perruque dans le Voyage sentimental ?

Il n’y a pas sur terre une ville où l’on travaille plus qu’à Paris ; pendant que la population apparente remue sur les boulevards, s’agite dans les Champs-Élysées, emplit les théâtres et boit dans les cafés, les savants de toute sorte, les lettrés sérieux, les contre-maîtres enfermés dans le huis clos de leur solitude, se livrent au labeur sans fin ni trêve qui remplit leur existence.