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la science des bibliothécaires, parcourir méthodiquement ces immenses réservoirs de toute science et de toute poésie. Mais alors il est bon de n’être pas trop bibliophile, car on restera invinciblement dans la réserve, et c’est ce qui m’est arrivé. Qu’est-ce que la réserve ? L’ensemble des galeries et des chambres qui se ferment sur 60 000 volumes environ, dont chacun est une merveille sans prix. Une odeur neutre et un peu fade, qui est le parfum des livres, plane dans ces salles silencieuses ; le premier livre imprimé par Gutenberg est là ; le chef-d’œuvre que l’on achève de tirer quelque part y sera, avant que la librairie s’en soit emparée. Les Aldes, les Elzeviers y sont innombrables ; mais nous y avons notre gloire nationale aussi, car voilà ces beaux caractères romains inventés, à Venise, par le Français Jenson, perfectionnés par la dynastie des Estienne, continués par les Didot et poussés au dernier degré de splendeur dans les Évangiles des Hachette. L’Angleterre a épuisé toutes les ressources de sa fortune et de son mauvais goût pour produire avec sa Magna Charta un chef-d’œuvre peu enviable. — Ne pouvant la faire belle, tu l’as faite riche ! Le plus mince volume de Jean de Tournes fait vite oublier ces vélins enluminés, dorés et prétentieux.

Chaque livre que l’on saisit vous arrache un cri d’admiration. Tout ce que l’imprimerie a engendré de plus parfait se retrouve là dans un exemplaire de choix et souvent dans plusieurs. C’est l’honneur des nations d’avoir ces nobles richesses abstraites et de ne reculer devant aucun sacrifice pour les augmenter. Depuis Louis XII jusqu’à nos jours, l’art exquis de la reliure est représenté par des séries ininterrompues, art français par excellence qui s’est éclipsé un instant avec Bozerian et Bradel, mais qui de nos jours a eu une renaissance éclatante avec Capé, Trautz et Beauzonnet.