Page:Du Camp - Paris, tome 6.djvu/190

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

effet sous l’insupportable réverbération de la rampe. Lorsque cette clarté blanche n’est plus là, aidée par la distance, pour effacer les tons trop crus et donner à l’ensemble un aspect harmonieux, on se trouve en présence d’une figure qui a l’air d’avoir été enluminée à Épinal.

La danseuse seule ne fait pas rire ; elle inspire une telle commisération que l’ironie meurt sur les lèvres. Elle arrive étincelante et « maquillée » ; elle a une ou deux minutes encore avant de faire son entrée ; elle tire de sa poche un cornet dont elle vide le contenu sur le plancher : c’est de la colophane ; elle l’écrase, y frotte la semelle de ses chaussons, afin de ne pas glisser sur le parquet, qui cependant n’a jamais été ciré ; elle bat quelques flic-flacs ; elle se tamponne le toupet pour bien s’assurer que ses faux cheveux ne la quitteront pas en route ; puis, à une ritournelle prévue, elle s’élance. Elle est sur la scène, la bouche en cœur et les bras arrondis ; elle tourne, elle fait ses pointes, elle se renverse, elle lance des entrechats, pivote sur elle-même, s’élève et retombe en mesure, si elle peut ; elle sourit au public qui applaudit et rentre dans la coulisse. Elle ne marche plus, elle se traîne, haletante, en nage, suffoquée, la main sur la poitrine, où elle comprime les battements d’un cœur surmené ; elle s’enveloppe en hâte d’une couverture ou d’un châle, car elle grelotte sous la froide atmosphère qui la saisit. En sortant de la scène, une danseuse disait : « J’aimerais mieux scier du bois. » Une de ses camarades lui répondit : « Tu n’es pas dégoûtée. »

Le théâtre à une sorte d’importance sociale que tous les gouvernements ont reconnue. Les rois de France ont tenu à honneur de le protéger et en avaient donné la surveillance directe aux gentilshommes de leur chambre. Parfois ils leur faisaient quelque largesse ; Louis XV