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tombes délaissées sont si rares qu’on pourrait les compter. On dirait que la mort n’est pas comprise et que nul ne veut admettre l’idée de l’anéantissement matériel. On veut plaire à un mort, comme l’on plairait à un vivant. Cela apparaît surtout très-nettement dans les cimetières où il existe un point de vue, au Père-Lachaise par exemple, dont certaines parties découvrent la ceinture de collines qui entoure Paris. Là les sépultures, ornées de petites terrasses, sont disposées de telle sorte que, si le mort se levait tout à coup du fond de son tombeau, il verrait un paysage magnifique se dérouler sous ses yeux. Ce n’est pas l’effet du hasard, et souvent l’architecte a été forcé à des combinaisons singulières pour donner au monument l’orientation voulue. On place sur les tombes les fleurs que les morts ont aimées, comme si le parfum pouvait en descendre jusqu’à eux.

Un jour, — il y a longtemps, — au cimetière Montmartre, j’ai été très-ému. À quelque distance d’une tombe que j’allais visiter, je vis une jeune femme agenouillée, les deux mains posées sur une dalle sépulcrale et la tête appuyée sur les mains. Elle chantait d’une voix très-pure et mouillée de larmes l’air de la Casta diva. Je m’arrêtai, croyant être en présence d’une folle et ne devinant guère ce qu’une invocation à la lune signifiait en pareil lieu. La femme se releva, essuya ses paupières, m’aperçut et comprit sans doute mon étonnement à l’expression de mon visage ; alors elle me montra d’un signe de tête la tombe où elle s’était inclinée, me dit : « C’est maman ; elle aimait cet air-là, » et s’éloigna en sanglotant.

Lorsque l’on visite les cimetières parisiens, on ne croirait pas être dans le pays où Montesquieu a écrit : Je voudrais bannir les pompes funèbres ; il faut pleurer les hommes à leur naissance et non pas à leur mort. » Les familles propriétaires de concessions à per-