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paisibles ; là le jardin pousse à la grâce de la nature ; nul malade ne le cultive, nul malade ne l’abîme ; il verdit, fleurit et se fane en présence d’indifférents qui le voient peut-être, mais qui à coup sûr ne le regardent pas. Là sont les imbéciles et les malheureux qui, après avoir passé par les atroces douleurs du délire aigu de la paralysie générale, sont arrivés au dernier terme de la vie végétative. Assis pour la plupart dans de grands fauteuils de bois appropriés à leur dégradante infirmité, insensibles à tout, retournés vers la première enfance par le long chemin dont chaque étape est une souffrance, ils vivent encore ; c’est tout ce que l’on en peut dire. Si par hasard un retour inespéré de vigueur se fait momentanément en eux, s’ils ressaisissent quelque chose de leurs forces éteintes, c’est pour essayer de mettre le feu à leur paillasse ou d’étrangler leur gardien. Même dans cet état un fou est dangereux. C’est un spectacle pénible : l’âme meurt-elle donc avant la mort définitive ? Il y a quelques années, je visitais un asile ; je me suis arrêté à regarder quelque chose qui avait été une femme. Ça était affaissé et comme écroulé dans un grand fauteuil ; ça remuait un peu ; la lèvre inférieure rabattue laissait écouler la salive, la paupière à peine soulevée couvrait un œil où le regard était éteint, la tête rasée dessinant les os, à peine revêtus d’une peau parcheminée, avait un décharnement de squelette ; parfois une pauvre voix éraillée disait : « Ah ! ah ! ah ! » Je me suis incliné avec un respect profond et pour ainsi dire historique, car ces restes lamentables représentaient la descendante du plus grand homme de mer qui jadis ait combattu contre nous au temps de Louis XIV.

Quand les arbres auront poussé dans les jardins et dans les cours de Sainte-Anne, ce sera un asile remarquable ; mais il lui manque encore ces beaux massifs de robiniers, de tilleuls et de marronniers qu’on trouve dans