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L’aliéné est toujours libre, fallût-il trois ou quatre gardiens pour réprimer ses instincts dangereux, fallût-il, pour être bien certain qu’il ne s’étranglera pas pendant la nuit, faire coucher un surveillant avec lui, supplice qui dépasse de beaucoup celui de la camisole. L’adoption de ce système a amené une modification dans l’aménagement des asiles anglais, où l’on a cru devoir établir les cellules de sûreté dans la proportion de 75 pour 100 aliénés, tandis que chez nous, dans nos asiles municipaux nouvellement bâtis, la proportion est de 4 pour 100. En tout cas, et à la suite de longues discussions, la science aliéniste française a repoussé le no restraint, et maintient que l’usage de la camisole est salutaire aux aliénés.

Quand je suis entré dans la demi-rotonde où s’ouvrent les cellules d’isolement qu’une vieille tradition léguée par Bicêtre et la Salpêtrière fait encore appeler les loges, une personne qui m’accompagnait m’a dit : « Ici, c’est la misère des misères. » On ne crie pas, on hurle ; on ne parle pas, on jappe ; on ne gémit pas, on rugit. Bien souvent, ici ou ailleurs, je suis entré dans la cellule des surexcités, jamais je n’en suis sorti sans avoir attrapé quelque horion ou sans que l’on m’ait craché au visage. Tout en bois, garnie d’un lit, munie d’un escabeau fixé par une chaîne au lambris, la cellule s’ouvre d’un côté sur le corridor de ronde, de l’autre sur un petit préau isolé où le malade piétine plutôt qu’il ne marche. Une de ces loges est entièrement capitonnée : plancher, plafond, murailles, disparaissaient sous une très-forte toile, tendue sur un matelas de filasse. Dans une boite si bien bourrée on peut déposer sans péril, pendant la durée de l’accès, les aliénés chez qui le mal s’exaspère ; c’est en vain qu’ils bondiront comme des chats sous l’influence de la chorée, qu’ils se jetteront la tête contre les murs ; toute précaution est prise, et c’est à peine s’ils