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une chambre, il est contraire aux exigences les plus simples de la salubrité d’y entasser 140 personnes, et surtout 140 vieillards qui tous sont plus ou moins sujets à quelque infirmité. Le dortoir Saint-Augustin est cependant fort recherché malgré ce dangereux encombrement. La cause qui le rend précieux aux administrés de Bicêtre est assez bizarre pour mériter d’être signalée. Ce dortoir est placé de façon à découvrir Paris tout entier. Lorsque pendant la nuit un incendie s’allume dans la grande ville, un des pensionnaires donne bien vite la nouvelle ; tous se réunissent aux fenêtres, se tassent les uns contre les autres, discutant sur le lieu précis du sinistre, riant si les flammes prennent des proportions imposantes et s’amusant beaucoup, car, ainsi que disait l’un d’eux, « ils ont si peu de distractions ! » L’insensibilité de ces vieillards est vraiment extraordinaire ; leur cœur semble avoir été ossifié par l’âge. Un vieux brave homme très-honnête, et que bien des écrivains ont connu, était entré aux Incurables ; il m’écrivit, me priant avec instance d’aller le voir Quand j’arrivai, il me dit : « J’ai quelque chose à vous dire, mais j’ai oublié ce que c’est, attendez donc… Ah ! voilà : ma femme est morte il y a quatre jours ; je savais bien que j’avais quelque chose à vous dire. » Il est à noter que ce malheureux avait été un mari modèle.

Cependant, s’ils oublient volontiers les autres, ils ne négligent pas de penser à eux-mêmes, et ils ont fondé entre eux une société de secours mutuels, inaugurée en 1858, reconstituée en novembre 1863, et qui aujourd’hui fonctionne avec régularité sous la présidence du directeur de l’hospice. En dehors d’une cotisation régulière de trente centimes par mois, chaque sociétaire doit verser un droit d’entrée qui varie selon son âge : avant 70 ans, trois francs ; de 70 à 76 ans, cinq francs ; après 76 ans, huit francs. Tout sociétaire ma-