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obtenu un lit à Bicêtre, à l’hospice de la vieillesse. La pauvre créature, réduite à des extrémités qu’on ne peut soupçonner, écrasée par l’âge, ébranlée par une sorte de maladie nerveuse qui ne lui laissait plus guère que la perception des besoins physiques, sortait chaque matin dans les rues de Paris avant que les boueux les eussent nettoyées, et y ramassait une abjecte nourriture qu’elle disputait aux chiens errants. Dès que le fait fut porté à la connaissance de l’autorité compétente, un secours fut envoyé à cette malheureuse, qui peu de jours après était accueillie dans un asile hospitalier[1].

Parfois la misère est plus saisissante encore et plus implacable. Au mois de décembre 1868, une femme maigre, jaune, marchant avec peine, manifestement souffrante, et âgée d’environ trente-cinq ans, se présenta vers six heures du soir au mont-de-piété de la rue Saint-Jacques, où elle voulut engager quelques objets de lingerie, qui furent refusés parce qu’ils n’offraient aucune valeur appréciable. Elle s’éloigna sans mot dire et tomba évanouie au bas de l’escalier, au moment où elle allait mettre le pied dans la rue. Le portier et les inspecteurs de police s’empressèrent de la secourir, pendant qu’un voleur, profitant de l’émotion générale, enlevait prestement le pauvre paquet de hardes dédaignées par le prêteur sur gages. On transporta cette malheureuse à la pharmacie la plus voisine, n° 169. Tous les soins qui lui furent administrés restèrent sans résultat : elle ne reprit pas connaissance. Le commissaire de police prévenu arriva en hâte, et d’urgence la fit admettre à l’hôpital de la Charité, où elle expira deux heures après sans avoir rouvert les yeux, sans avoir prononcé une parole ; on constata qu’elle était morte de faim.

Hélas ! ce n’est point un paradoxe de dire que ceux

  1. Le mari est mort à Bicêtre ; la femme est morte à la Salpétrière.