Page:Du Camp - Paris, tome 3.djvu/95

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

homme et lui dit : « Tire donc, imbécile ! mes camarades te rattraperont bien. » L’homme qui parlait ainsi était persuadé qu’il allait mourir. Ce qu’il avait cru être la gueule d’un pistolet était simplement le goulot d’une bouteille pleine de chloroforme, à l’aide de laquelle le bandit, peu versé dans les mystères de l’anesthésie, espérait endormir instantanément celui qui l’arrêtait. Cet agent était destiné à finir de mort violente ; il a été tué d’un coup de feu à Bruxelles, au moment où il cherchait à s’emparer d’un assassin.

Ces faits ne sont pas rares et on pourrait en citer à la douzaine ; un ou deux surnagent dans le souvenir des vieux employés, les autres disparaissent, s’éteignent, et l’on n’en retrouve plus trace. Cela est regrettable. Paris indifférent, banal et présomptueux, ignore avec quel dévouement il est servi. Dans les livres de Fenimore Cooper, nous avons tous admiré la sagacité des Indiens suivant la piste de guerre : nous nous sommes étonnés de leurs ruses, de leur adresse, et bien souvent nous avons dit : De tels hommes peuvent-ils exister ? Les inspecteurs du service de sûreté ne sont pas moins extraordinaires et ne dépensent pas moins de génie naturel. Attaquer un homme même à forces inégales, c’est peu de chose ; mais le guetter, abrité derrière un pan de mur, courbé sous un banc, accroupi à l’angle d’une maison, rester là immobile sous la pluie qui tombe, sous le givre des nuits d’hiver, non pas pendant une heure ou deux, mais parfois pendant dix ou douze heures de suite, résister à l’ennui, à l’engourdissement, au sommeil, ne point parler à son camarade pour ne pas attirer l’attention, ne correspondre avec lui que par des gestes insaisissables ou par des clins d’yeux, cela paraît tellement en dehors de nos habitudes remuantes et civilisées, que je n’y croirais pas, si je n’en étais certain.