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mettent de traîner son existence dans la fainéantise et l’oisiveté.

Cela est sinistre à dire ; mais s’il y a, comme on l’a vu plus haut, cent vingt mille femmes qui à Paris font ce métier, il y a derrière elles autant d’individus qui subsistent de leurs libéralités : ce sont les mâles de ces femelles. Dans ce monde étrange, l’homme vit de la femme, qui vit de la prostitution. Il y en a de toutes les catégories, depuis l’élégant qui dîne à la Maison Dorée et a ses grandes entrées dans les coulisses de l’Opéra, jusqu’au filou aviné qui passe sa soirée à la Guillotine de la rue Galande ou au bal Emile. La diversité des milieux constitue une différence extérieure très-notable, mais le fond est le même. Le premier dit : ma maîtresse ; le second, plus franc dans le cynisme de son langage, dit : mon ouvrière, ma marmite. Dans une lettre écrite par un détenu de Mazas et saisie sur une fille publique, je lis : « Je te dirai que je ne suis pas trop malheureux ; ma dabe vient m’assister et me voir deux fois par semaine ; c’est la meilleure de toutes les Louis XV que j’ai eues. » Il est superflu de dire que ces hommes, dont le nom populaire dérive du mot flamand maeken, qui signifie trafiquer, sont des gens dont les instincts abjects sont au-dessous de tout mépris. Dans la basse classe, ils sont redoutables, et quand, leur ouvrière étant à Saint-Lazare, ils se trouvent sans argent, ils deviennent volontiers voleurs et parfois assassins.

Ils protègent les filles, ils les défendent contre ceux qui les insultent, les préviennent quand les inspecteurs sont en tournée, prennent fait et cause pour elles dans leurs querelles ; mais, en échange, ils ne leur laissent pas un sou vaillant ; chacune d’elles est taxée par eux à une somme fixe qu’ils appellent le prêt, et qu’elle doit donner tous les soirs, sous peine d’être battue. On tâchait d’arracher une pauvre créature qui n’avait pas