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cantile, ont servi d’allumeuses ; elles ont amorcé les actionnaires ; intéressées aux opérations par les promoteurs mêmes de l’affaire, elles ont profité des nombreuses relations qu’elles entretiennent dans le monde riche pour vanter la spéculation et y faire affluer les capitaux des gens naïfs qui les écoutaient. Dans ce genre de monde, nul service n’est gratuit ; on récompensait leur concours en les associant aux bénéfices, sans jamais les laisser participer aux pertes. Et voilà comment il se fait que quelques-unes de ces créatures ont, dans certains établissements de crédit public, des comptes courants dont nul banquier ne rougirait et qu’elles peuvent donner des dots royales à leurs filles lorsqu’elles les marient.

On peut être surpris que les femmes qui, par les habitudes de leur enfance, le dévergondage animal de leurs mœurs, le fond de bêtise innée qui épaissit leur intelligence, appartiennent aux couches les plus infimes de la société, puissent parvenir à ne pas être trop déplacées dans la compagnie d’hommes dont les manières sont bonnes et l’esprit suffisant. Ce phénomène est facile à expliquer ; on croit ordinairement que, débutant dans les estaminets de bas étage, elles arrivent successivement, gravissant les degrés d’une hiérarchie conventionnelle, à devenir les élégantes soupeuses des restaurants à la mode. Le fait n’est pas impossible et l’on pourrait en citer quelques exemples, mais il n’est pas commun. Celles qui sont des Petites Maubert, c’est ainsi qu’on les nomme, prennent, dès les premiers jours, le goût des plaisirs du quartier sordide où elles ont commencé ; il leur faut les bals violents, la dure eau-de-vie des cabarets de la rue Mouffetard, la brutalité des rencontres, la société des voleurs et des filous. Elles naissent, vivent et meurent dans cet enfer ; si, par hasard, une circonstance les en fait sortir, elles quit-