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tement leur donne l’apparence de gros vieux enfants bouffis, luisants de graisse, ridés, abrutis et dont le crâne pointu annonce l’imbécillité. Elles ont des grâces de chien savant, quand les inspecteurs, vérifiant le livre d’inscription, les appellent et qu’elles se lèvent pour répondre.

Là, dans leur milieu même, avec les hommes qui les recherchent, dans cette tanière, on comprend que la principale occupation de leur vie est de boire. Par goût, par forfanterie, par intérêt, elles sont entraînées vers une ivresse qui, à force d’être renouvelée, devient presque leur état normal. À l’homme grossier qui s’assoit près d’elles, elles plaisent en buvant ; en buvant elles l’excitent à boire et c’est autant de bénéfice pour la maîtresse de la maison. Le vin ne produit plus d’effet, l’eau-de-vie est bien faible ; ce qu’on aime là, c’est l’absinthe, c’est ce vert-de-gris liquide, potion mortelle qui tue l’âme aussi vite que le corps.

C’était pendant une dure soirée d’hiver que je parcourais ces bouges qui, sauf quelques différences peu appréciables, sont également bêtes et inspirent un dégoût pareil ; j’entendais quelques-unes de ces malheureuses tousser de cette toux déchirante qui annonce une lésion organique profonde ; elles portaient leur main à la poitrine avec effort, se renversant en arrière avec les yeux à demi clos et les veines du cou gonflées ; dès que la quinte était passée, elles se versaient un verre d’absinthe et rallumaient une cigarette.

On croit volontiers que ces femmes-là sont des voleuses, on a tort ; elles savent très-bien qu’elles sont sous la main de la police, et cela suffit pour leur donner une probité relative à laquelle elles manquent rarement. Il serait plus vrai de dire qu’elles sont exposées à être très-fréquemment volées, qu’on les maltraite sans pudeur, et les Causes célèbres racontent qu’elles sont