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soupçonneux, il est bavard, n’attache pas grande importance à ce qu’il dit ; on a dû lui enlever jusqu’à la possibilité de la médisance ; aussi, sauf des cas d’une gravité spéciale, elles comparaissent toutes à la fois.

Leurs attitudes sont très-variées : quelques-unes ricanent ; d’autres ont l’air somnolent ; les plus rouées cherchent à attendrir et font effort pour pleurer ; en somme, ce qui domine, c’est l’indifférence. Ce sont des enfants hébétés. Lorsque l’une d’elles tire de sa poche sa queue de rat ou un simple cornet rempli de tabac, toutes lui en demandent et se bourrent le nez. Pour une mouche qui vole, elles éclatent de rire ; il y en a qui regardent le feu avec de grands yeux ouverts, comme si elles n’avaient jamais vu de charbons enflammés. Une d’elles, vieille, sèche, ridée, quoiqu’elle n’ait que quarante-deux ans, était assise sur un escabeau, les coudes sur ses genoux, le menton dans les mains ; sa face émaciée, rendue plus pâle encore par d’étroits bandeaux de cheveux noirs, ressemblait à celle de ces statues étiques que les sculpteurs du moyen âge ont attachées au portail des cathédrales ; l’œil fixe, la bouche pincée, l’air dur et réfléchi, elle eût bien symbolisé la Mendicité menaçante. Dans les maisons de fous, à la salle des agitées, on voit des figures semblables.

Parfois, abruties par l’ivresse permanente et comme pénétrées d’alcool, elles ont un flux de paroles qu’elles ne parviennent pas à arrêter. On a beau les prier, les menacer, leur dire, leur crier de se taire, leur voix lente et traînante laisse échapper des mots sans suite qui tombent avec la régularité de la goutte d’eau des clepsydres. Du reste, elles se doutent bien que leur état intellectuel n’est pas net ; elles ont un mot particulier pour rendre cet effet d’oscillation perpétuelle : elles disent, je suis pavillon. L’expression est juste ; en effet ces âmes extraordinairement faibles flottent à tous les