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ce moment, l’exécuteur mit la main sur lui et s’en empara en saisissant la courroie qui attachait les poignets, prêt à le soutenir s’il s’affaissait, à le pousser s’il reculait. On pénétra dans la cour. La grande porte, dont les verrous étaient tirés, fermait encore toute communication avec l’extérieur ; chacun des battants, poussés l’un contre l’autre, était tenu par un gardien. L’homme avançait aussi vite que le permettaient ses entraves ; à sa droite, un aide plaçait machinalement la main sous son coude ; à sa gauche marchait l’aumônier, qui priait à demi-voix. Derrière venaient l’exécuteur, ses deux aides, puis le directeur, le chef de la sûreté, le greffier de la cour impériale, quelques employés de la maison ; des soldats du poste, immobiles et comme consternés, regardaient, bouche béante. L’homme dit à deux reprises : « Vous tous, pardonnez-moi, pardonnez-moi. »

On avait dépassé le milieu de la cour ; les surveillants qui gardaient la porte l’ouvrirent d’un seul coup, et la guillotine apparut, rouge, sombre, horrible ; on ne voyait qu’elle ; on eût dit qu’elle remplissait l’horizon. Ce moment, tout attendu qu’il est, semble toujours inopiné, tant l’impression est violente ; les plus féroces, les plus endurcis parmi les criminels, — Lemaire, Avinain, — ont un involontaire mouvement de recul ; quelques-uns, — La Pommeraye, — sont envahis par une pâleur cadavérique qu’amène une dissolution anticipée ; d’autres, — Verger, — semblent mourir subitement et tombent sans plus de force qu’un chiffon mouillé. L’homme jeta un coup d’œil indifférent sur les bois de justice, et, se tournant vers l’un des assistants qui lui avait témoigné quelque intérêt, il dit : « Je voudrais savoir votre nom. » La personne interpellée entendit imparfaitement sans doute, car elle ne répondit pas. L’aumônier, s’adressant à elle, répéta la question et ajouta cette phrase d’une naïveté poignante : « Vous avez été bon pour lui,