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jour de leur camisole de force. Ceux-là passent leur temps à écrire. Lacenaire faisait des vers, des chansons matérialistes ; il avait même commencé à rédiger ses mémoires. Troppmann, qui avait fini par se croire très-réellement un grand personnage appelé à une célébrité sans égale, griffonnait aussi des vers sans rime ni raison, sans césure ni quantité ; il se plaisait surtout aux acrostiches, dont son nom était le point de départ ; il faisait des dessins, il signait et datait des feuilles de papier qu’il distribuait comme autographes à ses gardiens, aux agents de la sûreté qui le visitaient ; sa vanité en faisait un monstre aussi ridicule qu’odieux.

Il est un homme qui a de droit ses grandes entrées dans la cellule des condamnés à mort : c’est l’aumônier de la Roquette, à qui incombe le pénible devoir d’accompagner le malheureux jusqu’à la première marche au delà de laquelle l’éternité commence. L’abbé Crozes, qui aujourd’hui remplit cette douloureuse mission, est un saint. Sans grand espoir peut-être d’amener à résipiscence des âmes si violemment écartées du bien, il cherche, à force de charité, de patience, de douce énergie, à faire entrer quelques notions humaines dans ces cervelles bestiales. Ceux mêmes qui l’ont repoussé le plus durement, qui, aux premiers jours, ont dit : « Je ne crois pas à toutes ces bêtises-là, c’est bon pour des femmes, » finissent par subir l’ascendant de son inépuisable mansuétude. À voir ce vieillard chétif, les suppliant de penser à leur âme immortelle, leur parlant d’un Dieu qui lui-même souffre quand il ne peut pardonner, qui ne demande, pour faire asseoir à sa droite, qu’un instant de repentir sincère, plus d’un a été ému et s’est abandonné, soulagé de pouvoir montrer sans réserve et sans danger toutes les gangrènes qui le rongeaient. Et puis, avec un tel homme, on est sans défiance, on sait qu’il ne répétera pas les confidences qu’il a entendues. Les