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Le lieutenant criminel et le procureur du roi, mandés à la hâte, imaginèrent un moyen fort simple d’apaiser promptement cette révolte individuelle : ils firent tuer le prisonnier. Puis, afin que force restât à la loi, ils intentèrent un procès au cadavre, qui fut condamné à être pendu par les pieds, après avoir été préalablement trainé sur une claie jusqu’au lieu du supplice. Ce beau jugement fut, sans désemparer, confirmé par un arrêt de la Tournelle, arrêt qui reçut exécution le même jour en place de Grève et fut crié dans les rues de Paris, contre Chevet, « dûment atteint et convaincu de la rébellion par lui faite à justice dans sa prison du For-l’Évèque, tenant un couteau d’une main et une fourche de l’autre. »

On pourrait sans peine multiplier les anecdotes de ce genre. Jusqu’à la veille même de la réunion des états généraux, la détention fut arbitraire, et le plus difficile pour un prisonnier était de trouver des juges. Les archives de la préfecture de police[1], si riches en documents de tout genre, gardent un carton intitulé : Affaire du comte de Sannois. Ce Sannois, ancien officier des gardes françaises, était un vieillard infirme que sa femme, dont il voulait se séparer, avait fait arrêter sous prétexte qu’il s’était emparé d’une partie de ses biens. Enfermé à Charenton sous la garde des frères de la Charité, qui usaient plus souvent de bâton que de raisonnements pour convaincre leurs prisonniers, il envoyait

  1. Ces archives, où notre histoire nationale avait caché ses secrets les plus précieux, n’ont point échappé aux hommes atteints de pyromanie furieuse qui s’étaient chargés de brûler Paris. Elles ont disparu, en grande partie, dans l’incendie des bâtiments de la préfecture de police dont elles occupaient les combles. Il est impossible d’apprécier la gravité d’un tel désastre ; la période révolutionnaire, entre autres, avait là des documents d’une importance exceptionnelle. Grâce cependant à l’intelligence et au dévouement de M. Labbat, archiviste, quelques cartons ont pu être sauvés ; mais des « époques » entières ont été anéanties et laissent dans les preuves de notre histoire des lacunes qu’on ne comblera pas.