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rai pas plus que mes pantoufles. » Le propos fut rapporté ; on fit visiter les souliers que cet imprudent bavard avait le jour où il entra en prison, et dans une paire de vieilles savates, entre la semelle et l’empeigne, on retrouva 1 500 francs en billets de banque, représentant exactement la somme qu’on l’accusait d’avoir volée.

Toutes les fois que le juge d’instruction veut interroger un détenu, il fait un mandat de comparution. Le coupable, extrait de Mazas en voiture cellulaire, est amené au Palais de Justice et enfermé dans une salle spéciale située sous les chambres correctionnelles et qu’on nomme la souricière. C’est une série de cabanons isolés, clos de fortes portes armées de serrures qui sont peu faciles à crocheter, et dont l’aspect général a quelque ressemblance avec les cabines des écoles de natation. Lorsque le moment de comparaître est venu, l’inculpé, surveillé de près par deux gardes de Paris, qui ne le quittent point, est conduit dans le cabinet du juge d’instruction, petite pièce très-modestement meublée de casiers, d’une table, de quelques sièges et d’une affreuse pendule à colonnettes d’acajou. L’homme s’assied, et un gendarme entré avec lui, mettant sa chaise contre la porte pour déjouer toute tentative d’évasion, laisse pendre son sabre entre ses jambes et s’ennuie.

Là rien de solennel, c’est une causerie plutôt qu’autre chose ; encore faut-il que le juge d’instruction la varie et la module suivant l’individu qu’il a devant lui. Si les crimes ont peu de différence entre eux, les caractères de ceux qui les commettent en ont beaucoup. Sur ces claviers si divers, si peu sonores parfois, il est bon de savoir quelle touche on doit attaquer. C’est là ce qui rend cette fonction particulièrement délicate. Presque toujours on n’a affaire qu’à des brutes, masses de chair si violentes, qu’elles neutralisent l’âme, et que l’intelligence atrophiée ne peut se faire jour à travers les obsta-