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à la préfecture de police. Celle-ci les examine, les complète, comme on l’a vu plus haut, et les transmet à la justice avec l’individu qu’elles concernent ; mais il faut pour cela que le délit soit bien constaté. Lorsqu’il n’y a qu’un fait de vagabondage ou de mendicité, la préfecture s’enquiert des causes, des circonstances, et dans ce cas interroge l’inculpé. Elle est envers les pauvres gens très-miséricordieuse ; je dirai plus, elle est très-maternelle ; elle a reçu tant d’aveux pénibles, elle a sondé tant de misères sociales ; elle sait si bien que l’homme est un être essentiellement faillible, elle est tellement résolue, quoiqu’il ne lui reste plus l’ombre d’une illusion, à ne désespérer jamais, qu’elle a une commisération infinie qu’on ne soupçonne guère lorsqu’on ne l’a pas approchée et regardée de très-près. Quand elle a affaire à des incorrigibles, elle ne les ménage pas, et elle les traduit devant les tribunaux.

J’ai vu sous les verrous un homme de vingt ans, nommé Victor Tuleu, qui n’a jamais commis aucun crime, mais qui est un vagabond épique que rien ne peut amender. Arrêté la première fois en août 1859 à l’âge de onze ans, arrêté la seconde fois en novembre 1863, il était arrêté le 17 juillet 1868 pour la cinquante troisième fois. Il a été interrogé, morigéné, sermonné plus de trente fois ; il promet tout ce qu’on veut, et dès qu’il est en liberté, il reprend la vie nomade. S’il pleut pendant la nuit ou s’il fait froid, il va droit au poste le plus voisin, s’assoit auprès du poêle et dit : « C’est moi, je suis Tuleu ; je n’ai ni ressources ni domicile, arrêtez moi. » Les tribunaux le condamnent, il fait son temps et recommence[1]. Ces natures-là, rebelles à tout travail et

  1. J’ai eu la curiosité de rechercher ce qu’était devenu Victor Tuleu et j’ai découvert que depuis le mois de juillet 1868 il avait subi huit condamnations nouvelles : à Orléans, novembre 1868 ; à Paris, janvier 1870 ; à Blois, août 1870 ; à Lachâtre, décembre 1870 ; à Riom, mars 1871 ; à Agen, novembre 1871 ; à Saint-Amand, janvier 1872 ; à Riom, octobre