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s’appelle le calibre ou le gabarit. L’ouvrière choisit les morceaux de tabac qui doivent former l’intérieur (la tripe), les assemble sur une planchette en caoutchouc vulcanisé, les étire, les dispose de façon qu’ils n’offrent aucun pli, aucun point saillant ; d’un seul coup de la paume de la main, à la fois rapide et précis, elle les roule dans une feuille d’assez bonne apparence qui est la souscape ; c’est déjà presque un cigare, mais un cigare écorché auquel il manque l’épiderme. Une des feuilles de première qualité est alors enlevée au rouleau préparé à l’atelier d’époulardage, et, par deux coups de tranchet, taillée en lanières larges de quatre à cinq centimètres : c’est la robe ; on en revêt avec mille précautions la tripe et la souscape, et l’on colle légèrement l’extrémité afin que le cigare, parfaitement maintenu et emprisonné, offre assez de résistance pour ne point se dérouler ; puis, à l’aide d’un instrument fort ingénieux, qui donne à tous les cigares d’une même espèce une longueur égale, on coupe le bout, et l’opération est finie.

Une bonne ouvrière, ne perdant point de temps et travaillant dix heures, peut faire de 90 à 150 cigares de choix dans sa journée ; à la manufacture du Gros-Caillou, on en obtient facilement 500 à cinq centimes dans le même laps de temps. La fabrication dont j’ai succinctement raconté les différentes phases est réservée aux cigares de luxe (londres, trabucos, etc.). Pour les millares, on prend autant de soin, mais on va plus vite, grâce à un moule en bois dans lequel on forme la partie interne et la souscape qu’on n’a plus alors qu’à rouler dans la robe. Comme les ouvrières travaillent à l’entreprise, on peut croire qu’elles se hâtent ; elles sont bien payées, mais je doute qu’elles soient heureuses, car le silence est de rigueur dans les ateliers. Que l’administration soit parvenue à faire fabriquer des cigares qui font concurrence à ceux de la Havane, c’est fort