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bauche et menait au crime ont été enlevés et rejetés hors de l’enceinte actuelle de Paris ; en modifiant ce quartier, en l’épurant, on l’a moralisé. Les Halles sont aujourd’hui ce qu’elles auraient dû toujours être : un lieu de transactions sévèrement surveillées, un réservoir où la population parisienne peut venir en sécurité puiser les subsistances dont elle a besoin. Autour de ce marché central, quelques restes de l’ancien Paris sont cependant encore demeurés debout comme une impuissante protestation du passé ; à traverser la rue Pirouette, les rues de la Grande et de la Petite-Truanderie, on s’étonne que l’on ait pu vivre et que l’on vive encore dans de pareils cloaques.

Les Halles terminées comprendront quatorze pavillons, dont dix sont en service aujourd’hui ; les quatre qui restent à élever doivent entourer la Halle au Blé, servir en partie de logement aux employés de l’administration et remplacer les groupes de vieilles maisons étagées dans les rues du Four, Sartines, Mercier,

    étroite, humide, mal éclairée, ayant accès sur la rue aux Fers. À l’intérieur, une immense salle rectangulaire, garnie de tables scellées dans le sol, et, tout autour, des cabinets de quatre, huit et dix consommateurs. Trois cents personnes environ allaient chaque nuit chercher un asile dans cette sentine, car on pouvait y passer la nuit. C’étaient des hommes à l’aspect repoussant, truands de tout âge ; on y voyait aussi des femmes sans nom, couvertes de guenilles, ivres ou cherchant à s’enivrer, et des jeunes gens dont le visage portait les traces de la débauche et d’une corruption précoce. Et tout ce monde buvait, mangeait, criait, jurait, chantait, se querellait, s’injuriait. C’est dans ce cabaret que Poulmann donna son premier coup de couteau. Cet établissement, à l’époque où il était tenu par Étienne Salles, était devenu une curiosité de Paris, Aussi avait-on disposé deux cabinets de telle manière que l’on pouvait voir ce qui se passait dans la salle commune. On allait là, en partie de plaisir, se repaitre du spectacle de la dégradation humaine. On dit même que des femmes du monde ne dédaignaient pas d’aller partager ces tristes émotions. Bien plus, d’après la légende, assez invraisemblable d’ailleurs, M. Delessert, préfet de police, y aurait un soir conduit le roi Louis-Philippe. Étienne Salles, qui vient de mourir, avait gagné là, en peu d’années, une petite fortune. Quant à Paul Niquet, le fondateur, il laissa un demi-million à ses héritiers. » Il est inutile de dire que l’anecdote prêtée au roi Louis-Philippe et à Gabriel Delessert est absolument apocryphe.