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bras gauche, à l’épaule et au nez ; sa perruque et son chapeau l’avaient garanti d’un coup de sabre sur la tête, de manière qu’il n’en avait qu’une contusion. On lui administra tout de suite les secours nécessaires ; on entendit le récit touchant de la manière miraculeuse dont il avait été sauvé. « Un hussard lui avait demandé en français : Est-ce que tu es Jean Debry ? À quoi il avait répondu par l’affirmative, et en produisant son passe-port, qui fut également déchiré, lui, ainsi que sa femme et ses filles, furent arrachés de leur voiture, et on frappa sur lui. Il fut jeté dans un fossé qui bordait le grand chemin ; il eut la présence d’esprit de contrefaire le mort, et il se laissa dépouiller : c’est ce qui le sauva. Lorsque les hussards se furent éloignés, il se leva et courut vers le bois. Ne voulant pas se jeter par terre à cause de la pluie qui tombait, il grimpa sur un arbre, malgré la forte blessure qu’il avait au bras gauche, y sommeillant de temps en temps de lassitude et d’épuisement, et y resta jusqu’au jour, qu’il s’achemina vers Rastadt. En approchant de la ville, il se mêla à la foule qui était sortie pour voir les cadavres, et sans être remarqué, ni par les patrouilles autrichiennes, ni par le corps de garde posté aux portes, il arriva heureusement. Le spectacle le plus déchirant pour lui fut celui de ses deux collègues, devant lesquels il était obligé de passer. »

La réponse du colonel n’était pas encore arrivée ; en attendant, on désirait vivement de faire passer le Rhin aux personnes sauvées de la légation française, et de consommer cette opération avant la nuit, pour pouvoir partir à son tour et arriver en sûreté à Carlsruhe. En conséquence, MM. de Rosencrantz et Gemmingen allèrent, vers neuf heures, chez le capitaine, et lui déclarèrent qu’aussitôt que la position de Jean Debry, blessé, et de la veuve de Roberjot, assassiné, le permettrait, tous les individus sauvés seraient transportés au Rhin, avec leurs effets, sous l’escorte militaire de Bade, et accompagnés de plusieurs membres du corps diplomatique, si le capitaine voulait répondre de leur sûreté sur son honneur et sur sa vie, et leur donner une escorte d’un officier et de quelques hussards. Après avoir fait quelques difficultés, le capitaine accorda la demande, mais il exigea qu’elle lui fût présentée par écrit ; c’est ce qui a été fait. Dans cet entretien, il échappa au capitaine plusieurs expressions qui méritent d’être remarquées : « C’était un malheur, mais à qui la faute ? On ne l’avait pas commandé ! » On lui témoigna l’effroi que l’énoncé de la possibilité seulement d’un pareil soupçon devait causer à des gens d’honneur. Il s’efforça d’atténuer l’énormité du crime en disant : « À nous aussi on a tué des généraux ! » Les sensations que de pareils propos devaient faire naître en nous de la part d’un homme à qui notre sûreté était confiée ne pouvaient être calmées que par la réponse du colonel Barbatzy, que M. de Jordan apporta enfin à onze heures. Il n’avait pu voir le colonel lui-même, et quoiqu’il lui eût fait dire qu’il ne venait pas seulement au nom