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Les derniers, on les appelle les bohèmes. Ceux-là sont récalcitrants et parfois dangereux ; leur fouet est l’argument qu’ils emploient de préférence ; de punition en punition, ils en arrivent à l’exclusion du service ; la police correctionnelle les connaît et souvent même la cour d’assises aussi. Ce sont les déclassés, les paresseux, les incorrigibles, épaves incommodes que toute civilisation rejette sur ses bords. Ce qui les a amenés à faire un métier pour lequel ils n’ont aucune aptitude, c’est l’horreur du travail, le dégoût de la vie régulière, l’effroi de toute contrainte ; ils se sont imaginé qu’une fois sur leur siège, au grand air, s’arrêtant deci et delà pour étrangler un perroquet, comme ils disent dans leur argot, c’est-à-dire pour boire un verre d’absinthe, ils seraient libres, ou du moins auraient l’illusion de la liberté : erreur profonde, dont ils ne tardent pas à revenir, qui leur cause un dépit amer et les jette parfois dans des rébellions sérieuses. Pour ceux-là, le cheval peut crever, la voiture être défoncée, que leur importe ? à leurs yeux, les agents sont des mouchards, le directeur général un tyran, le surveillant une canaille. Toute révolte leur paraît permise, et le bourgeois serait pour eux une proie toujours attaquée, si la préfecture de police ne les tenait sous sa main de fer. Ils connaissent bien le chemin de la fourrière et du violon ; leur montre est souvent au mont-de-piété, leur paye est toujours dépensée d’avance, ils vivent d’emprunts qu’ils ne remboursent jamais. On en a vu qui dételaient leur voiture, l’abandonnaient au hasard sur la voie publique, vendaient le cheval à vil prix et s’en allaient vers les barrières mal famées épuiser en orgies le produit de leur vol. On les jette en cour d’assises, on les interroge : « Pourquoi avez-vous vendu un cheval qui ne vous appartenait pas ? — Ah ! voilà ; ça me disait d’aller faire la noce. »

Où se ramasse ce personnel à faces innombrables qui