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La fatigue que cause le travail de manipulation est excessive. L’appareil est desservi par deux agents : l’un reçoit ou expédie la dépêche, l’autre la traduit si elle est arrivée par l’appareil Morse, ou la coupe et la colle sur la feuille de route si elle est parvenue par l’appareil Hughes. Toutes les deux ou trois heures, ils alternent. Cela n’a l’air de rien au premier abord : être assis sur une chaise en présence d’une machine intelligente qui paraît fonctionner d’elle-même, suivre du regard les traits qu’elle dessine, dérouler une bande de papier, c’est là tout le travail apparent ; mais, pour être bien fait, il nécessite une rapidité de main, une fixité de regard, une tension d’esprit et souvent même un déploiement de forces considérable. Tout l’être participe à la fonction ; un instant d’inadvertance peut amener une erreur, et il faut savoir les éviter. Il n’y a pas une seconde de repos, tous les nerfs sont surexcités ; la diversité même des dépêches qui se succèdent sans relâche amène une lassitude de plus : affaires de famille, tripotages de bourse, opérations commerciales, nouvelles politiques, lettres chiffrées, langue anglaise, française, italienne, espagnole, hollandaise, allemande arrivent l’une après l’autre, comme les battements d’une pendule, régulièrement et infatigablement dans l’espace du même quart d’heure. À cela il faut ajouter le bruit ininterrompu des appareils, bruit nerveux, saccadé, presque aigre tant il est sec et qui, à force de se reproduire sans discontinuité, finit par ébranler les natures les plus vigoureuses. Si jamais on arrive à écrire l’histoire des maladies spéciales à chaque corps de métier, je suis persuadé que la télégraphie électrique fournira un contingent remarquable et tout à fait particulier.

La rémunération d’un tel travail est illusoire. Après deux ans ou dix-huit mois de surnumérariat, nécessaire pour compléter une éducation télégraphique suffisante,