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XCIII



Douce mere d’amour, gaillarde Cyprienne,
Qui fais sous ton pouvoir tout pouvoir se ranger,
Et qui des bords de Xanthe, à ce bord estranger
Guidas avec ton fils ta gent Dardanienne,

Si je retourne en France, ô mère Idalienne,
Comme je vins ici, sans tomber au danger
De voir ma vieille peau en autre peau changer,
Et ma barbe Françoise, en barbe italienne,

Dès ici je fais vœu d’apprendre à ton autel
Non le liz, ou la fleur d’Amarante immortel,
Non ceste fleur encor' de ton sang coloree :

Mais bien de mon menton la plus blonde toison,
Me vantant d’avoir fait plus que ne fit Jason,
Emportant le butin de la toison doree.

XCIV

Heureux celuy qui peut long temps suivre la guerre
Sans mort, ou sans blessure, ou sans longue prison !
Heureux qui longuement vit hors de sa maison
Sans despendre son bien, ou sans vendre sa terre !

Heureux qui peut en Court quelque faveur acquerre
Sans crainte de l’envie, ou de quelque traison !
Heureux qui peut long temps sans danger de poison
Jouir d’un chapeau rouge, ou des clefs de sainct Pierre !

Heureux qui sans peril peut la mer frequenter !
Heureux qui sans procez le palais peut hanter !
Heureux qui peut sans mal vivre l’âge d’un homme !

Heureux qui sans souci peut garder son thresor !
Sa femme sans soupçon, et plus heureux encor'
Qui a pu sans peler vivre trois ans à Rome !

XCV

Maudict soit mille fois le Borgne de Libye,
Qui le cœur des rochers perçant de part en part,
Des Alpes renversa le naturel rampart,
Pour ouvrir le chemin de France en Italie.