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XXXVII

C’estoit ores, c’estoit qu’à moy je devois vivre,
Sans vouloir estre plus, que cela que je suis,
Et qu’heureux je devois de ce peu que je puis
Vivre content du bien de la plume, et du livre.

Mais il n’a pleu aux Dieux me permettre de suivre
Ma jeune liberté, ni faire que depuis
Je vesquisse aussi franc de travaux et d’ennuis,
Comme d’ambition j’estois franc et delivre.

Il ne leur a pas pleu qu’en ma vieille saison
Je sceusse quel bien c’est de vivre en sa maison,
De vivre entre les siens sans crainte et sans envie :

Il leur a pleu (helas) qu’à ce bord estranger
Je visse ma franchise en prison se changer,
Et la fleur de mes ans en l’hyver de ma vie.

XXXVIII

Ô qu’heureux est celuy qui peut passer son aage
Entre pareils à soy ! et qui sans fiction,
Sans crainte, sans envie, et sans ambition,
Regne paisiblement en son pauvre mesnage !

Le miserable soin d’acquérir d’avantage
Ne tyrannise point sa libre affection,
Et son plus grand desir, desir sans passion,
Ne s’estend plus avant que son propre heritage.

Il ne s’empesche point des affaires d’autruy,
Son principal espoir ne depend que de luy,
Il est sa court, son roy, sa faveur, et son maistre.

Il ne mange son bien en païs estranger,
Il ne met pour autruy sa personne en danger,
Et plus riche qu’il est ne voudroit jamais estre.

XXXIX

J’ayme la liberté, et languis en service,
Je n’ayme point la Court, et me faut courtiser,
Je n’ayme la feintise, et me faut desguiser,
J’ayme simplicité, et n’apprens que malice :