Page:Du Bellay - Œuvres complètes, édition Séché, tome 3.djvu/29

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

SONGE
OU VISION SUR ROME


I

C’estoit alors que le present des Dieux
Plus doucement s’escoule aux yeux de l’homme,
Faisant noyer dedans l’oubly du somme
Tout le souci du jour laborieux ;

Quant un dœmon apparut à mes yeux
Dessus le bord du grand fleuve de Rome,
Qui, m’appelant du nom dont je me nomme,
Me commanda regarder vers les cieux.

Puis m’escria : Voy, dit-il, et contemple
Tout ce qui est compris dans ce grand temple,
Voy comme tout n’est rien que vanité :

Lors connoissant la mondaine inconstance,
Puisque Dieu seul au temps fait resistance,
N’espère rien qu’en la divinité.

II

Sur la croppe d’un mont je vis une Fabrique
De cent brasses de haut : cent colomnes d’un rond,
Toutes de diamant ornoyent le brave front,
Et la façon de l’œuvre estoit à la Dorique.

La muraille n’estoit de marbre ni de brique,
Mais d’un luisant cristal, qui du sommet au fond
Elançoit mille rais de son ventre profond
Sur cent degrez dorez du plus fin or d’Afrique.

D’or estoit le lambris, et le sommet encor