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Que celuy de la Muse, à qui veut qu’on l’avance :
Car quel loyer veux-tu avoir de ton plaisir,
Puis que le plaisir mesme en est la recompense ?

CLIV

Si tu m’en crois, Baïf, tu changeras Parnasse
Au palais de Paris, Helicon au parquet,
Ton laurier en un sac, et ta lyre au caquet,
De ceux qui pour serrer, la main n’ont jamais lasse.

C’est à ce mestier là, que les biens on amasse,
Non à celuy des vers : où moins y a d’acquet
Qu’au mestier d’un boufon, ou celui d’un naquet.
Fy du plaisir, Baïf, qui sans profit se passe.

Laissons donq, je te pry, ces babillardes Sœurs,
Ce causeur Apollon, et ces vaines douceurs,
Qui pour tout leur tresor n’ont que des lauriers verds :

Aux choses de profit, ou celles qui font rire,
Les grands ont aujourd’huy les oreilles de cire,
Mais ils les ont de fer pour escouter les vers.

CLV

Thiard, qui as changé en plus grave escriture
Ton doux stile amoureux : Thiard, qui nous as fait
D’un Petrarque un Platon, et si rien plus parfait
Se trouve que Platon, en la mesme nature :

Qui n’admire du ciel la belle architecture,
Et de tout ce qu’on voit les causes et l’effect,
Celuy vrayment doit estre un homme contrefait,
Lequel n’a rien d’humain, que la seule figure.

Contemplons donc, Thiard, ceste grand’ voute ronde,
Puis que nous sommes faits à l’exemple du monde :
Mais ne tenons les yeux si attachez en haut,

Que pour ne les baisser quelquefois vers la terre,
Nous soyons en danger, par le hurt d’une pierre,
De nous blesser le pied, ou de prendre le saut.