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C’est cest esprit, rare présent des cieux,
Dont la beauté de cent grâces pourveûe
Perce non ame, et mon cœur, et mes yeux.
Par les rayons de sa poignante veùe.


III

Je ne me plains de mes yeux trop expers,
Ni de mon cœur trop léger à les croire,
Puisqu’en fermant à si haute victoire
Ma liberté si franchement je pers.
Amour qui voit tous mes secrets ouverts,
Me fait penser au grand heur de ma gloire,
Lorsque je peins au tableau de Mémoire
Vostre beauté le seul beau de mes vers.
Mais si ce beau un fol désir m’apporte
Vostre vertu plus que la beauté forte
Le coupe au pié, et veut qu’un plus grand bien
Prenne en mon cœur une accroissance pleine,
Ou autrement, que je n’attende rien
De mon amour, fors l’amour de la peine.


IV

Une froideur secrettement bruslante
Brusle mon corps, mon esprit, ma raison,
Comme la poix anime le tison
Par une ardeur lentement violente.
Mon cœur tiré d’une force alléchante
Dessous le joug d’une franche prison,
Boit à longs traicts l’aigre-douce poison,
Qui tous mes sens heureusement enchante.
Le premier feu de mon moindre plaisir
Fait halleter mon altéré désir :
Puis de nos cœurs la céleste Androgine
Plus sainctement vous oblige ma foy :
Car j’aime tant cela que j’imagine.
Que je ne puis aimer ce que je voy.