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Ainsi la grand’ trouppe eschauftée
Avec son vineux Evoé
Estrangloit les chansons d’Orphée
Au son du cornet enroué.
Cestuy-là, qui dit que ces vers
Gastent le naif de mon stile,
Il a l’estomac de travers,
Préférant le doux à l’utile :
La plaine heureusement fertile,
Bien qu’elle soit vefve de Heurs
Vaut mieux que le champ inutile
Emaillé de mille couleurs.
Si nous voulons emmieller
Nos chansons de fleurs poétiques,
Qui nous gardera de mesler
Telles douceurs en nos cantiques ?
Convertissant à nos pratiques
Les biens trop longtemps occupez
Par les faux possesseurs antiques
Qui sur nous les ont usurpez.
D’Israël le peuple ancien
Atiranchi du cruel service,
Du riche meuble Egyptien,
Fit à Dieu plaisant sacrifice :
Et pour embellir l’édifice.
Que Dieu se faisoit ériger,
Salomon n’estima pas vice
De mendier l’or estranger.
Nous donques faisons tous ainsi :
Et comme bien rusez gendarmes,
Des Grecs et des Romains aussi
Prenons les boucliers et guysarmes,
L’ennemi baillera les armes
Dont luy-mesme sera battu :
Telle fraude au fait des alarmes
Mérite le nom de vertu.
O fol, qui chante les honneurs
De ces faux Dieux ! ou qui s’amuse
A farder le los des Seigneurs
Plus aimez quamis de la Muse.
C’est pourquoy la mienne refuse
De manier le lut vanteur.