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distendre avec un levier à fourche une des pattes d’oie qui répartissaient sur plusieurs points de l’aérostat le poids de la nacelle. Il ne fit qu’un bond vers Christiane, lui prit les deux mains dans un élan passionné et, ses yeux dans les siens :

— Christiane, je ne puis m’étonner de vous voir parler ainsi, fit-il, vous ne me connaissez pas. Les circonstances sont telles que nous nous appartenons sans nous connaître, et ce n’est d’ailleurs pas l’heure des confidences, car nos minutes sont comptées. Laissez-moi seulement vous dire ceci, et avec toute la sincérité que doit avoir un être dont la vie ne tient qu’à un fil : non seulement je ne vous maudis pas mais je vous bénis de m’avoir amené ici… Vous m’avez fait pénétrer dans un monde nouveau, entrevoir un idéal que je n’aurais jamais trouvé au fond de moi-même. Je vous bénis et je vous aime, Christiane.

Elle se rapprocha de lui dans un mouvement de confiante reconnaissance.

— Écoutez-moi, poursuivit-il. Mes parents étaient des humbles. Mon père, gardien de batterie dans un fort frontière, fut toute sa vie l’homme du devoir étroit et minutieux, dont l’horizon n’allait pas plus loin que ses casemates et les canons dont il avait la garde. Il est mort, après avoir pourvu à mon éducation, m’avoir vu entrer à l’École Polytechnique. Ma mère, avec qui je vis depuis, se confine dans la pratique des vertus domestiques, et moi-même je n’avais été, jusqu’au jour de notre rencontre, qu’un