Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/388

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de marine seront remontés à bord des canonnières et que personne ne pourra plus vous reconnaître dans le camp, vous suivrez Mohiloff qui vous amènera à moi. Je connais le commandant Dominé, il vous acceptera comme engagé dans son bataillon.

— Engagé ? répéta le déserteur avec une expression de stupeur indicible.

— Oui, engagé à la légion étrangère où on ne vous demandera ni votre nom, ni votre âge, ni même votre nationalité, à la légion où nul ne s’enquiert du passé d’un homme, si cet homme veut y accomplir fidèlement et courageusement son devoir de soldat.

— Oh ! mon lieutenant, mon lieutenant, je puis donc encore me réhabiliter, porter l’uniforme ; oh ! soyez béni !

Et, se précipitant aux genoux de l’officier, il lui saisit la main et l’appuya contre son front brûlant.

— Oui, vous le pouvez, dit l’officier ; mais Rousseau, porté « disparu », il y a sept mois, a dû être depuis signalé en France comme « tué à l’ennemi » ; pour sa famille, pour ses amis, il est donc mort noblement et ne doit plus revivre ; à partir d’aujourd’hui, vous vous nommez Erkmann, et vous êtes Alsacien.

— Merci, mon lieutenant, et soyez tranquille : Erkmann ira bientôt rejoindre Rousseau ; mais, du moins, Rousseau n’aura plus volé la mention qu’on a mise là-bas, en France, à côté de son nom : Tué à l’ennemi ! Vous verrez !

— C’est affaire avec votre conscience, dit l’officier.

Le lendemain, la marche fut reprise vers Tuyen-Quan, où la colonne allait entrer le jour même, et Georges, analysant les événements tragiques auxquels il avait présidé, ne se reprocha rien, car les décisions qu’il avait prises lui avaient été inspirées par l’amour de la justice et l’intérêt de sa patrie ; il avait servi la justice en permettant à un coupable repentant de s’amender et en châtiant un indigne ; il avait servi sa patrie en substituant un bon à un mauvais soldat

Certes, mes enfants, le combat singulier qu’il avait autorisé eût été un moyen condamnable en toute autre circonstance ; mais aux situations exceptionnelles, il faut des solutions exceptionnelles, et plus tard, lorsque Georges Cardignac raconta au commandant Dominé le drame sanglant qui avait pré-