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minutes la volte-face fut opérée : les négresses modulèrent d’autres you-you, les griots reprirent leurs flûtes et les simples nègres se remirent à gambader d’allégresse.

Puis les nouvelles conventions furent arrêtées entre le capitaine Cassaigne et l’ex-roi de Kineira : toute la population, escortée par les guerriers, allait abandonner ses pénates, et Barka lui-même allait, pour les soustraire à la rapacité de Samory, faire flamber ses cases et ses plantations, avec le même empressement que celui dont il avait fait preuve en pays ennemi, quelques jours auparavant.

Une quinzaine de malingres et de blessés de l’infanterie de marine, auxquels se joindraient M. d’Anthonay et M. Ramblot, partiraient avec ce troupeau humain, pour alléger la compagnie de marsouins, à laquelle on allait demander de nouvelles marches forcées.

Seulement tout cela formait une grosse colonne, et il fallait un officier pour la conduire à Kita : le capitaine Cassaigne se tourna vers Georges Cardignac.

Mais notre ami n’eut pas une minute d’hésitation : il refoula la douce vision qui lui apparaissait au bout du long ruban de route aboutissant à Kita, et d’une voix maintenant affermie :

— Mon capitaine, dit-il, je crois que M. Flandin, en ce moment un peu souffrant dans sa tente, est plus fatigué que moi. Je ne désire rien tant que vous suivre…

— C’est bien aussi ce que je pensais, dit le capitaine Cassaigne en jetant au jeune officier un regard d’affectueuse sympathie.

Et plus bas, il ajouta :

— Je suis d’autant plus heureux de votre réponse que j’ai pour vous une proposition pour la croix à laquelle le capitaine Galliéni pourra donner la sanction de son autorité. Je ne serai donc pas fâché de vous présenter à lui. Ce soir même, Cardignac, nous partons.

À la tombée du jour, la colonne s’ébranla d’un pas rapide vers le Nord : elle était à cent dix kilomètres de Bammakou qu’elle allait secourir ; Baba seul, parti en maraude dans un village voisin, manquait à l’appel.

Georges Cardignac, vous vous en doutez bien, mes enfants, avait le cœur gros ; car son affection, muette et grandissante pour Lucie Ramblot, s’enveloppait d’un double regret : celui de partir sans avoir de nouvelles de la