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tout musulman qui se respecte, tiennent la place la plus considérable : en quelques mots, il lui notifia que la colonne allait quitter le matin même Kineira, pour se diriger sur Bammakou à marches forcées.

Cette nouvelle eut le don de dégriser immédiatement le monarque.

— Ti t’en va, comme ça ! bégaya-t-il.

— Il le faut.

— Et li canaille di Samory !… li venir tout di suite, lui coupir cabèche à Barka.

Il y eut un silence : M. d’Anthonay, attiré par le bruit, venait d’arriver, et Georges l’avait mis au courant des dispositions nouvelles que créait l’ordre du capitaine Galliéni.

L’émotion qui perçait dans les paroles du jeune officier n’échappa pas au vieux magistrat ; mais Georges Cardignac, malgré toutes les confidences qu’il avait reçues de l’excellent homme et peut-être en raison de ces confidences même, n’avait pas encore osé s’ouvrir auprès de lui des secrètes pensées qui grandissaient au fond de son cœur, quand il pensait à la pauvre enfant mourante au fort de Kita.

Connaissant la délicatesse innée de notre ami Georges, vous avez même déjà deviné, mes enfants, que depuis le jour où M. d’Anthonay lui avait appris ses projets de donation en faveur des deux jeunes filles, le jeune homme éprouvait comme une gêne intime à se laisser bercer par l’espérance d’une union possible avec Lucie Ramblot ; dans tous les cas, il n’en avait jamais ouvert la bouche, et M. d’Anthonay, devinant ce qui se passait dans l’âme de son jeune ami, avait observé la même discrétion.

M. d’Anthonay allait donc demander au commandant de la colonne par quels moyens M. Ramblot et lui-même allaient pouvoir gagner isolément le fort de Kita, lorsque les hurlements de Barka redoublèrent, accompagnés des lamentations de sa suite, à laquelle il venait de jeter, en quelques phrases gutturales, la nouvelle du sort qui les attendait. Durant quelques instants, ce fut une cacophonie effroyable, entremêlée des you-you des « moukères », seule manifestation des femmes musulmanes dans la douleur comme dans la joie, et ponctuée de l’exclamation royale énergiquement répétée comme un refrain :

— C’ti canaille di Samory !

Enfin le capitaine Cassaigne obtint le silence et, non sans difficultés,