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La malade l’avait remercié d’un sourire et murmuré la phrase qui voletait encore à son oreille.

Et c’est avec cette douce vision que Georges chevauchait maintenant dans la brousse.

Les souvenirs d’enfance évoqués, le charme pénétrant de cette belle jeune fille, redevenue son amie dans ces circonstances tragiques, le désir de lui apporter une consolation et la vie en délivrant son père, tout cela décuplait, pour le jeune sous-lieutenant de marsouins, le bonheur de faire campagne réelle contre un ennemi sérieux, et rehaussait encore à ses propres yeux les beaux côtés de la mission civilisatrice à laquelle il prenait part comme soldat.


De Kita à Niagassola il y eut trois lourdes étapes. En arrivant dans cette localité, la colonne trouva une population noire un peu effarée, mais non agressive.

Après des pourparlers, on obtint le séjour et des vivres ; puis on piqua sur Siguiri.

Au demeurant, bien qu’on marchât en pays, sinon hostile, du moins à peu près insoumis, la colonne Cassaigne n’éprouva, il faut le reconnaître, aucune difficulté sérieuse et n’eut pas à « faire parler la poudre ».

À Siguiri on passa le fleuve en pirogue, ce qui constitua un véritable travail et prit une journée entière : puis, une fois établi sur la rive droite, le capitaine Cassaigne résolut de prendre des mesures de surveillance encore plus sévères que d’habitude, car on entrait dans la zone d’action — on pourrait dire dans la zone de ravage — de l’Almany redouté, du fameux Samory.

Le messager noir de Ben-Ahmed avait bien, il est vrai, déclaré qu’il n’y avait aucune attaque à redouter, aucun danger à courir, ajoutant que son maître lui avait dit à lui-même : « Les blancs sont bono, les Français bono bezzef »[1].

— Mon garçon, riposta le vieil officier, ce n’est pas aux vieux singes que les jeunes macaques apprennent à faire la grimace ! Je suis persuadé des bonnes intentions de ton patron ; mais, dans mon pays, on cite deux dictons bons à retenir. Premier dicton : « L’enfer est pavé de bonnes intentions. »

  1. Bezzef (beaucoup).