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noirs superbes, qu’il avait engagés moyennant quarante francs par mois ; lui aussi emportait des cadeaux, et, la veille du départ, il montra à Georges Cardignac une caisse, renforcée par des armatures de fer, et que portait un petit mulet.

— La rançon de M. Ramblot, fit-il ; s’il arrivait quelque chose, je vous la recommande.

Et devant le regard interrogateur du jeune officier :

— J’emporte là trente mille francs en pièces de cinq francs : cela représente cent cinquante kilogrammes d’argent ; mais il n’y avait pas moyen de faire autrement.

— Je croyais qu’à l’intérieur de l’Afrique les monnaies européennes n’avaient plus cours.

— C’est exact ; elles sont remplacées, pour les échanges quotidiens, par des « cauris » ou coquillages dont il faut quelques centaines pour faire cinquante centimes, et surtout par le sel en barres dont la valeur augmente à mesure qu’on pénètre dans l’intérieur. Mais les chefs, le sultan de Ségou, par exemple, connaissent parfaitement la valeur de nos monnaies et savent s’en servir pour acheter aux Anglais des fusils, de la poudre et du rhum. C’est pourquoi, à tout hasard, je me suis muni de cette somme. D’ailleurs, elle est en sûreté, car, si vous le permettez, je marcherai avec vous au convoi, et nous pourrons profiter de nos longues heures de marche pour apprendre la langue de tous ces braves noirs, avec qui vous allez vivre longtemps.

Georges applaudit à cette idée : il avait encore présente à la mémoire la réflexion du commandant supérieur de Saint-Louis, lui rappelant qu’il était nécessaire d’apprendre les dialectes soudanais, avant de songer à conduire une colonne dans la région du Haut-Fleuve ; maintenant d’ailleurs qu’il se rendait compte de la multiplicité des organes qu’il fallait créer et des ressources qu’il avait fallu réunir pour permettre à cent cinquante Français de se mettre en route, il ne trouvait plus excessive l’expression « d’outrecuidance » que le « grand chef » lui avait envoyée en échange de sa demande de commandement.

Malgré les soucis et les fatigues que lui promettait la conduite de son convoi, il était cependant heureux, car à cette charge correspondait un avantage inappréciable : il était monté ; on lui avait délivré à Kayes un petit