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atmosphère coloniale. Tous ces bronzés, ces basanés, avaient voyagé aux quatre coins du monde, et, au milieu d’eux, les deux jeunes sous-lieutenants, pâles, presque imberbes, offraient un contraste frappant. Combien de jeunes comme eux s’étaient assis avant eux à ces tables et avaient fondu là-bas au lourd soleil des tropiques ! Qui pouvait dire combien il avait fallu de victimes à la fièvre et aux balles, pour arriver à cette sélection d’officiers, capables de guerroyer sous tous les climats !

Lorsque le Champagne fut versé, le colonel, dans une chaude allocution, présenta les deux jeunes gens au corps d’officiers du 1er  Régiment, porta leur santé, et, en leur honneur, but à la « camaraderie ».

— La camaraderie, dit-il, c’est notre force à nous autres ; c’est le ciment même qui assemble les éléments de ce puissant édifice qu’est l’Armée ; du petit au grand, soyons toujours bons camarades, mes enfants : c’est la camaraderie qui dissipe les petits ennuis de notre terre-à-terre en garnison, les crève-cœur, les impatiences journalières du métier ; c’est elle qui donne à nos hommes l’exemple de la solidarité et de la force dans l’union ; c’est elle surtout qui soutient le moral, dans les continents lointains, au milieu des maladies et des dangers. Les camarades ! mais ils sont la famille et la patrie du marsouin ! Mes jeunes camarades, soyez les bienvenus au milieu de nous !

Dès le lendemain, Georges et son ami, installés dans deux modestes chambres qu’ils avaient louées sur le même palier, dans les environs de la caserne du Val-de-Sair, entrèrent en fonctions, et Georges, pénétrant pour la première fois dans les chambres de ses hommes, fit la connaissance de « son peloton ».

Il faut avoir vécu de cette vie militaire, voyez-vous, mes enfants, pour comprendre tout ce que ce mot « mon peloton », dans la bouche d’un lieutenant ou sous-lieutenant amoureux du métier, comporte de sentiments complexes. Les soixante ou soixante-dix hommes qui constituent le peloton d’un officier sont « à lui » ; ils sont presque ses enfants ; il doit les connaître tous, non seulement par leurs noms, mais encore par leurs professions dans la vie civile ; par leurs aptitudes, par leur valeur au tir, à la marche, par les services qu’ils peuvent rendre à la collectivité ; il doit s’intéresser à tout ce qui leur arrive, joies ou deuils de famille, les conseiller quand ils s’engagent dans une mauvaise voie ou fréquentent de mauvais camarades ; les remonter quand ils sont fatigués ou découragés ; les aller voir à l’infirmerie ou à l’hô-