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D’un mouvement instinctif, Georges fit un pas vers lui ; rien ne rapproche deux êtres comme une impression douloureuse, partagée au même moment ; et, montrant le tableau, le fils du colonel Cardignac dit :

C’est beau, n’est-ce pas ?

— Oh, oui, bien beau ! fit le jeune Saint-Cyrien sans essayer de cacher son émotion.

— Est-ce qu’à toi aussi, ce souvenir rappellerait un père, mort en 1870 ?

— Non ; mon père n’est pas officier, et il vit encore.

— Alors quelque autre de tes parents ?

— Non ; il n’y a pas d’officier dans ma famille : je serai le premier.

— Alors pourquoi sembles-tu aussi ému que moi ?

— Parce que je trouve cela beau ; j’en suis tout remué.

Leurs mains se joignirent, l’amitié montait en eux :

Mais toi, fit le petit Saint-Cyrien, c’est une sensation déjà éprouvée que tu retrouves là ?

— Oui et non, dit Georges ; mon père a été en effet à Saint-Privat et inhumé près de Metz : mais je n’ai pas eu le bonheur de le retrouver.

— Il a été mis dans la fosse commune, peut-être ?

— Non, il a dû être mis à part ; mais nul n’a pu m’indiquer l’endroit.

— Comme je te plains !

— Merci. Comment t’appelles-tu ?

— Andrit, et toi ?

— Cardignac.

— De quelle compagnie es-tu ?

— De la première.

— Et moi de la deuxième : alors, nous sommes dans la même étude.

— Tant mieux.

— Oui, je suis bien content : il me semble que je te connais depuis longtemps.

— Moi, je ne connais personne ici, et, depuis que je t’ai rencontré, je me sens moins seul.

Le nouvel ami de Georges était le fils d’un modeste juge de paix de l’Aisne. Ses parents s’étaient imposé de vrais sacrifices pour lui faire faire les études les plus complètes. Ils venaient d’en être récompensés par un