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Le 24 décembre au matin, un remue-ménage singulier eut lieu à Dijon, parmi les troupes prussiennes.

Les troupes se rassemblaient dans les rues et sur les places ; les convois de bagages se formaient ; les sous-officiers questionnés avaient beau répondre : « Nous partir pour Capout Galibardi »[1], personne ne crut à ces assertions, formulées sans doute par ordre supérieur et auxquelles le récent succès de Crémer à Nuits enlevait toute portée.

À huit heures et demie, « il ne restait plus un Allemand dans la ville » ; tous étaient allés bivaquer en arrière de Sainte-Appollinaire, et le soir, à trois heures, ils avaient disparu.

Le lendemain matin, le son du clairon français réveillait Paul Cousturier qui, bondissant hors de ses draps, dévalait au grand galop sur la neige durcie, courait au bruit de la fanfare, et tombait rue du Bourg sur Bombonnel[2] et ses francs-tireurs, formant l’extrême avant-garde de nos troupes. Dans la journée, les premières troupes de la division Crémer faisaient leur entrée à Dijon !

Quelle joie pour tous les habitants de cette patriotique cité, après plusieurs semaines d’occupation allemande !

Du coup, Georges réendossa sa tenue de franc-tireur ! Il marchait maintenant comme s’il n’eût jamais été blessé, car il avait eu soin de se faire fabriquer une paire de chaussures spéciales, dont le talon intérieur, du côté de sa blessure, était garni d’un feutre doux.

Et le surlendemain la joie patriotique de la famille se doubla de la joie familiale.

Pierre Bertigny, attaché à l’état-major du général Bourbaki, commandant en chef de l’armée de l’Est, tomba comme un aérolithe au milieu de la famille assemblée.

Margarita, qui pleurait justement à ce moment, faillit s’évanouir de bonheur : aussi fut-elle la dernière à s’apercevoir que son mari portait le quatrième galon, celui de chef d’escadron, bien mérité par sa vaillante conduite à Sedan.

Lui aussi, Pierre, avait traversé bien des angoisses, et certes, s’il s’atten-

  1. Nous allons pour tuer Garibaldi. (Historique).
  2. Bombonnel, propriétaire dijonnais, était déjà célèbre comme chasseur de panthères et de lions. Il jouissait à Dijon d’une grande popularité, et avait formé un corps franc qui opérait dans les environs.