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les Allemands parlaient souvent des francs-tireurs avec une haine et aussi une épouvante très caractéristiques.

Le 26 septembre, une nouvelle attristante me parvint : Strasbourg avait dû capituler ! et le corps de siège, comprenant la division badoise, libre de ce côté, traversait les Vosges. J’étais ce jour-là à Morhange, au nord-est de Nancy. Je pris mon parti et je piquai directement au sud.

Enfin, huit jours plus tard, le 4 octobre, je tombais dans un poste de francs-tireurs des Vosges, installé dans le contrefort ouest du Donon, en avant de Raon-l’Étape. J’étais sauvé ! J’étais dans nos lignes !

Pourtant l’accueil que je reçus fut plutôt rude.

Ces braves gens étaient méfiants, et certes je ne leur en fais pas reproche !… bien au contraire ! Ce fut entre deux baïonnettes que je fus amené à l’officier commandant le détachement.

C’était presque un vieillard, aux rudes moustaches grises, à l’impériale fournie, aux yeux bleus, très crâne dans sa tenue pittoresque. Mais nous ne fûmes pas longs à nous entendre, car l’énoncé du nom de Cardignac le dérida

Regarde, mère, quelle grande famille que l’armée !… Le capitaine Galbaud n’avait-il pas servi sous mon pauvre oncle tué en Crimée, en qualité de mar’chef !

Ah ! si tu l’avais vu me sauter au cou ! je n’en revenais pas moi-même !

Et c’est ainsi que, le lendemain même, ma situation militaire était régularisée, et que j’endossai le costume de toile de franc-tireur des Vosges.

Cela me fit du bien, je t’assure, de me sentir un chassepot dans la main, et surtout de m’en servir, comme un vieux soldat que je suis !… car, dès ce moment, j’entrai, comme on dit vulgairement, dans la peau de mon rôle.

Écoute mon odyssée à partir de ce jour-là. La voici, résumée brièvement :

Le 6 octobre, j’ai pris part au combat de la Bourgonce, sous le général Dupré.

Le 9 octobre, nous avons défendu crânement Rambervillers[1], sans pouvoir, hélas ! nous y maintenir.

J’ai brûlé des cartouches à Bruyères, le 11 octobre ; mais les Allemands arrivant de Strasbourg nous inondaient sous leur nombre, et nous ne pûmes les empêcher d’entrer à Épinal, qu’ils occupèrent le 12.

  1. Rambervillers fut, plus tard, en raison de sa belle défense, autorisé, comme Dijon et Châteaudun, à porter dans ses armes la croix de la Légion d’honneur.