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Mais des cris, des vociférations, venaient d’éclater parmi les Allemands, témoins abasourdis de cette scène rapide.

Ils avaient compris.

Le point que venait d’atteindre Mahurec était le bord de carrières très profondes, s’étendant jusqu’à la lisière du bois d’Amanvilliers.

Ces carrières d’où on extrayait du grès étaient abandonnées depuis longtemps, et les enfants venaient le dimanche jeter des pierres dans leurs noires profondeurs, pour entendre au bout de quelques secondes, qui paraissaient des minutes, le bruit sourd de leur chute, sur les rocs invisibles.

Mahurec les connaissait bien…

Des commandements précipités se firent entendre ; mais les canonniers allemands qui avaient leurs carabines en bandoulière, ne s’attendant guère à en faire usage ce soir-là, furent lents à les apprêter, puis à charger ; et quand, au commandement plusieurs fois répété rageusement de Feuer ! Feuer ! ils eurent enfin mis en joue et pressé sur la détente, la mitrailleuse avait disparu.

Elle avait roulé dans l’abîme, son affût tordu, ses roues brisées, sa culasse faussée… Celle-là du moins ne servirait pas à l’ennemi et n’irait pas orner à Postdam le Musée guerrier consacré au triomphe de l’Allemagne.

À quelque distance, le cheval paissait tranquillement.

Au bord des carrières, Mahurec, son œuvre accomplie, venait de tomber sur un genou, la cuisse traversée par une balle.

Il mit l’autre genou en terre, joignit les mains, et ses lèvres murmurèrent une vieille prière bretonne.

Mais un feu de salve s’abattit sur lui à moins de cent mètres, et percé de plusieurs balles, il tomba les bras étendus sans pousser un cri.

Un des Allemands, un sous-officier, se détacha du groupe, se dirigea vers le lieu du drame, et, voyant que le Breton ne remuait plus, d’un coup de pied furieux, le poussa dans l’abîme. Il se pencha et ne vit rien ; mais le bruit mat d’un corps qui s’écrase monta jusqu’à lui.

Mahurec allait dormir son dernier sommeil auprès de sa pièce.

Lui, du moins, n’avait pas rendu ses armes, et avait fait, avant de succomber, tout ce que prescrivaient le devoir et l’honneur !


Pendant que s’accomplissaient les lugubres destinées de l’armée du