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tant d’enfants bretons ne connaissent point leurs pères, ravis de bonne heure par l’Océan !… et après avoir essuyé une larme au souvenir de l’orphelin, il était revenu à l’idée fixe qui l’avait empoigné lorsqu’il avait appris qu’on livrait tous les canons aux Prussiens.

Idée fixe qui se résumait ainsi :

Sauver sa pièce de cette profanation.

À la pensée que l’ennemi allait l’emmener, un déchirement s’était produit dans cette âme simple, et vous le comprendrez, mes enfants, quand je vous aurai dit que, quelques mois plus tard, à la fin du siège de Paris, un autre canonnier, un marin, Le Gac, se tua sur sa pièce au fort d’Issy, au moment où les Prussiens prenaient possession de l’ouvrage[1].

Mahurec, lui, n’avait pas pensé au suicide, réprouvé par la loi divine ; mais on lui avait appris au régiment qu’un soldat ne doit jamais rendre ses armes, que, réduit à la dernière extrémité, il doit les détruire avant d’accepter la captivité, et simplement, sans confier son projet à personne, il s’était juré de faire pour son compte ce que le chef de l’armée ne faisait pas.

Les deux officiers français n’avaient d’ailleurs pas fait un geste pour le retenir, et Mahurec, remis en selle, éperonna vigoureusement son cheval.

La mitrailleuse française n’avait pas un poids considérable, le gros cheval poméranien la mit en branle sans trop d’efforts et le Breton prit le trot.

Il se dirigeait vers la lisière des bois.

Soudain, des casques à boule surgirent sur la gauche à quelque distance, une troupe de canonniers allemands avait précédée d’officiers ; elle s’arrêta indécise, ne comprenant rien à ce qu’elle voyait.

En les apercevant, Mahurec avait vigoureusement stimulé sa monture qui, sous l’éperon, bondit et prit le galop. Le Breton filait en ligne droite, vers un but invisible.

Puis on le vit s’arrêter au sommet d’un léger renflement du sol et, par un à-gauche, amener sa mitrailleuse au sommet de ce remblai crayeux, comme s’il eût voulu la mettre en batterie.

Alors, il descendit de cheval, se baissa sur l’affût, détacha les traits, rendit la liberté à sa monture et s’arc-bouta à la roue droite, comme pour le mouvement de à bras en avant !

  1. Historique. — Ce marin a sa statue.