Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/444

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

puis il était tombé brisé par l’émotion et la fatigue sur la banquette, et les soldats l’avaient laissé dormir. Quand il s’était réveillé, le train entrait dans la gare de Metz ; c’était le 16 août au matin, et quelques heures après tonnait le canon de Rezonville qui coupait la voie aux trains suivants.

Comment il avait passé cette cruelle journée, il n’en avait, plus qu’un vague souvenir : il avait erré, sans arrêt, interrogeant des soldats, des officiers. Nulle part, pendant la bataille, il n’avait trouvé trace du nom de son père ; mais, le lendemain, étant allé à l’arsenal et ayant intéressé à son sort un garde d’artillerie, il avait trouvé sur un bon de munitions la signature du colonel donnée le matin même ; il n’avait donc pas été blessé le 16 et, du même coup, Georges apprit qu’il était nommé à un commandement d’artillerie au 6e Corps.

Avec cette indication, il allait le trouver le lendemain sans difficulté.

Mais le lendemain 18, c’était la bataille de Saint-Privat.

Et de nouveau, toute la journée, il avait couru ; dès la première heure, il était monté au fort Saint-Quentin dont la masse imposante domine la Moselle. Peut-être que là il saurait quelque chose ; on n’avait pu lui dire où était le 6e Corps, mais on lui avait montré, à Plappeville, la maison où se tenait Bazaine : les chevaux attendaient sellés à la porte, des estafettes armaient au galop et repartaient aussitôt ; c’étaient les messagers qu’expédiait coup sur coup le malheureux Canrobert, débordé par plus de cent mille hommes.

Et en entendant cette canonnade qui faisait rage et illuminait l’horizon, il s’était demandé, lui, l’enfant ignorant des choses de la guerre, pourquoi le généralissime qui commandait cette armée si furieusement engagée, n’allait pas la rejoindre, comment ces chevaux restaient toujours sellés à la porte ?

À cinq heures pourtant il avait vu sortir Bazaine ; mais, à sa grande surprise, il était parti du côté opposé à la bataille ; il était entré au fort Saint-Quentin et s’était amusé lui-même à pointer une pièce sur Jussy… Puis, rentré dans son salon ; il avait déclaré que « la journée était finie ».

Elle était finie, en effet, et la suprême bataille perdue ; que maudite soit la mémoire de cet homme, mes enfants ! Il avait la plus belle armée du monde, il pouvait sauver son pays, disputer au moins la victoire ; il ne fit rien, couva de ténébreux projets et trahit ses soldats. Or, s’il est un crime infamant sur la terre, c’est celui du traître !

Le soir venu, Georges avait assisté, terrifié, à la retraite du 4e Corps et