Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/427

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

retranché. Elle permit à l’ennemi d’achever le sien en nous coupant, cette fois pour toujours, de Verdun, dont la route, le 16 au soir, était encore ouverte ; elle fut fatale à la France : elle allait amener la défaite sanglante et définitive du 18 août.

Le colonel Cardignac avait eu raison d’espérer un commandement à la suite de la première bataille : les vides à combler au 6e corps, après Rezonville, étaient nombreux ; il reçut le commandement de l’artillerie de la 3e division (Levassor-Sorval).

Sa satisfaction redoubla en retrouvant, le 17 au soir, dans l’une de ses deux batteries, le brave Mahurec qu’il n’avait pas revu le 16, et qui s’était tiré, sans une blessure, de cette effroyable tuerie.

— Notre artillerie n’est pas si en retard que vous le disiez, mon colonel, dit le Breton ; mon « Yvonne » n’est plus une pièce de quatre : c’est une mitrailleuse. Je ne savais même pas comment ça se chargeait il y a quarante-huit heures, mais les servants m’ont appris ça vivement, et vous savez, quand on est à bonne portée, ça fait de la belle besogne…

— Oui, dit le colonel, mais il faut être à belle portée, à 1.800 mètres au plus, et surtout il ne faut pas avoir affaire à des canons Krupp, car on n’en mène pas large : ils vous démolissent, à 3.000 mètres, une batterie de mitrailleuses sans qu’elle puisse répondre.

— Ça c’est vrai ; mais sur l’infanterie, si vous aviez vu ça, hier, mon colonel, ça fauchait les rangs comme des épis de blé. Nos hommes les appellent des « moulins à café ». M’est avis que mon « Yvonne » va avoir bientôt l’occasion d’en « moudre » encore une fois.

— Demain, probablement, mon brave Mahurec : je viens de recevoir l’ordre d’occuper à la pointe du jour une hauteur, là-bas à droite, près d’un village appelé Saint-Privat ; et je serais bien surpris si la bataille n’était pas encore plus acharnée que celle d’hier.

— À la grâce de Dieu, mon colonel, fit le Breton en se signant ; on fera de son mieux.


Pendant la nuit qui précéda cette journée décisive, le colonel Cardignac se retourna en vain sur la couchette en peau de mouton qui lui servait de lit dans une petite auberge du village de Saint-Privat. Il ne put trouver le sommeil, et, se levant, il écrivit à sa femme.