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— Comment ! mon colonel, fit le Maréchal en le voyant arriver à pied, car il n’avait pas plus de monture que d’emploi, vous, un vieux brave de Crimée et d’Italie, vous en êtes réduit à chercher un commandement, et dans cet équipage ! Venez avec moi, mon colonel !

C’était l’appellation familière et affectueuse qu’aimait à employer le Maréchal vis-à-vis des officiers de tous grades, et, très touché par cet accueil bienveillant, le premier qu’il eût reçu depuis son départ du Havre, Jean Cardignac s’inclina.

— Qu’on donne au colonel un de mes chevaux, dit encore le Maréchal ; il y a en ce moment assez de pleutres qui fichent le camp, pour qu’on ait des égards vis-à-vis de ceux qui rallient le drapeau !

Le colonel venait à peine de se mettre en selle, que le Maréchal partait au galop, pour presser l’entrée en ligne de la division Bisson.

La bataille, en effet, s’engageait et s’annonçait acharnée.

Jean Cardignac dut suivre le Maréchal aux grandes allures, et je ne vous cacherai pas, mes enfants, qu’ayant, depuis deux ans déjà, cessé de pratiquer cet art si utile de l’équitation, il eut quelque peine, pendant la première heure, à retrouver son assiette.

Mais l’intérêt croissant avec lequel il suivait le développement de la bataille, l’empêcha d’y songer. Il assista d’abord au recul du 2e Corps français, à la charge des cuirassiers de la Garde, sous les ordres du brave général du Preuil, puis au mouvement offensif du Corps du Maréchal Canrobert, qui eût pu, s’il avait été appuyé par les troupes dont disposait Bazaine, rejeter les Prussiens dans les ravins d’où ils essayaient de déboucher.

Mais Bazaine, dont l’idée fixe était de se replier sous les murs de Metz, pour y rester, avec son armée, l’arbitre de la France après la chute de l’Empire, Bazaine ne voulait pas d’une victoire, et la situation demeura indécise : les Allemands pour sauver leur 3e Corps de l’attaque furieuse du Maréchal Canrobert, demandèrent à leur tour à leur cavalerie de se sacrifier, et c’est alors qu’eut lieu cette charge de la brigade Bredow (7e cuirassiers et 16e hulans) qui porte encore en Allemagne le nom de Todtenritt (chevauchée de la Mort) et qui — il faut toujours rendre hommage au courage d’un ennemi — est le digne pendant de la charge de nos cuirassiers à Reischoffen.

Ce jour-là, mes enfants, ce Maréchal Bazaine qui, plus tard, fut condamné