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Maréchal Bazaine de repasser au plus vite sur la rive gauche et de se mettre en retraite sur Verdun, car ce qui nous est arrivé, au 6e Corps, prouve que les Allemands commencent à passer la Moselle au sud de Metz pour aller nous couper cette route de Verdun. Si nous perdons encore vingt-quatre heures, nous ne passerons plus.

— Et alors ?…

— Alors nous serons enfermés dans Metz, rendus inutiles pour toute la durée de la guerre, et contraints de nous rendre par la famine dans un temps plus ou moins prochain.

— La famine ! mais Metz renferme des approvisionnements énormes.

— On le croyait : il paraît qu’il y en a pour douze jours seulement.

— Une armée française de 150.000 hommes se rendre, s’écria le colonel Cardignac, mais jamais on n’aurait vu cela !

— Jamais, en effet, mon colonel.

— Aussi j’espère bien que cela n’arrivera pas, moi vivant, conclut Jean Cardignac, de plus en plus effrayé par toutes ces constatations lamentables.

Quant à trouver un emploi, un commandement de groupe d’artillerie, il ne l’espérait plus maintenant, avant qu’une bataille eût fait des vides dans son arme. Et le soir même, sombre et triste, il gagna la ville. En franchissant la porte Serpenoise, ses yeux rencontrèrent l’inscription qui rappelait le siège héroïque, soutenu, au temps du duc de Guise, par Metz, la ville inviolée jusqu’alors ; et, sur la place d’armes, devant la cathédrale, il lut la phrase suivante, gravée sur le socle de la statue de Fabert :

« Si pour empêcher qu’une place que le roi m’a confiée ne tombât au pouvoir des ennemis, il fallait mettre sur la brèche ma personne, ma famille et tout mon bien, je ne balancerais pas un moment à le faire ! »

Le lendemain, 14 août, le mouvement rétrograde de l’armée française continuait, et ses corps passaient sur la rive gauche de la Moselle, lorsque l’attaque d’une simple avant-garde allemande du 7e Corps, par ordre du fameux général Von der Goltz, engagea la bataille de Borny.


Ce fut, mes enfants, une bataille glorieuse ; et, lorsque la nuit vint y mettre un terme, sans que les Allemands eussent entamé nos positions, l’espoir, si vivace au cœur du Français, était revenu. « Vous venez de rompre le charme », dit l’Empereur au Maréchal Bazaine, qui ne méritait guère ce