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En traversant le boulevard de Strasbourg, au milieu d’un embarras de voitures, son regard croisa celui d’un homme de haute taille, aux favoris courts et grisonnants, au teint hâlé, et tous deux se reconnurent en même temps.

— De Nessy !

— Cardignac !

C’était en effet l’ancien ami de Henri Cardignac, en Afrique ; celui qui, comme enseigne de vaisseau, avait partagé avec lui les terribles émotions de la captivité dans le fort L’Empereur. Après la mort de son ami en Crimée, il avait fait la connaissance de son frère Jean en venant lui apporter ses condoléances, et avait reporté sur ce dernier toute l’amitié qui l’unissait jadis au brillant officier de cavalerie.

Il venait d’être promu contre-amiral et se dirigeait vers le Ministère de la Marine.

Tous deux marchèrent quelques instants côte à côte.

Après les premières effusions, le même mot leur vint à tous deux à la fois.

— Quel gâchis !

Et navré, l’amiral raconta toutes les épreuves auxquelles était soumise la flotte française, cette flotte si supérieure à celle des Allemands qui existait à peine à l’état d’embryon, cette flotte sur laquelle on avait fondé tant d’espérances puisqu’elle devait porter en Danemark un corps de débarquement destiné à opérer vers le nord une puissante diversion.

— C’est lamentable, conclut-il ; là non plus rien n’a été étudié. Les côtes de la Baltique sont basses, le manque de fond interdit aux vaisseaux l’accès des rivages ; les chalands nous manquent ; aucun débarquement n’est possible ; la flotte va être absolument inutile pendant cette guerre qui s’annonce si terrible, et, plutôt que de naviguer à ne rien faire, je suis venu demander ici un commandement dans l’armée de terre.

— Vous, un marin !

— Eh oui ! que voulez-vous ? Tout va se décider sur terre, et les marins peuvent rendre, comme canonniers, de précieux services dans les forts. Quant aux officiers de marine, on peut leur confier des ouvrages de défense, des secteurs de place forte ; je vais tâcher d’obtenir quelque chose comme ça… Et vous, mon cher Cardignac ?