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comme je l’étais moi-même, et que je veux voir devenir français comme je le suis devenue.

— Vous l’avez deviné, colonel, il s’agit du Mexique.

Jean Cardignac tressaillit.

Oui, il venait de le deviner, et ce mot Mexique lui avait produit une indéfinissable impression de malaise.

Car il avait entendu parler, comme tous ceux qui fréquentaient les Tuileries, des motifs, plus ou moins avouables, mis en avant pour motiver une intervention française, dans ce pays livré à la plus complète anarchie, mais où ne nous appelait aucun intérêt essentiel.

Il savait que, pour favoriser le recouvrement de la créance d’un certain Jecker, Suisse naturalisé Français, qui avait prêté au Mexique de l’argent à un taux usuraire, on parlait tout haut d’avoir recours aux armes ; il savait que l’Espagne, elle aussi, voulait intervenir, et que l’Impératrice, fidèle à ses origines, voulait faire de cette guerre « sa guerre à elle ».

Mais, ce qu’il savait aussi, ce qu’il voyait surtout, c’est que la France, jalousée en Europe, ne devait, à aucun prix, user ses forces et ses ressources dans des expéditions lointaines ; c’est qu’une puissance continentale commençait à se dresser devant elle comme une rivale mieux armée, mieux outillée, et décidée à venger ses défaites de 1806.

Dix ans avant la funeste guerre de 1870, Jean Cardignac sentait venir l’orage, du côté de la Prusse ambitieuse et grandissante.

Il écouta avec la plus grande déférence l’exposé très passionné que l’Impératrice lui fit de ses projets, car ces projets étaient bien les siens, et elle les revendiquait comme tels.

L’amiral Jurien de la Gravière était chargé de l’organisation d’un corps expéditionnaire, qui devait opérer de concert avec ceux de l’Espagne et de l’Angleterre. Il allait débarquer à la Vera-Cruz ; mais il fallait à la tête de la colonne, destinée à opérer dans l’intérieur du pays, un officier énergique, et c’était sur lui, Jean Cardignac, que le choix du souverain s’était porté.

Le malaise de notre ami avait augmenté pendant cet exposé, débité avec la plus grande volubilité. L’Empereur, adossé à la cheminée, n’avait pas ouvert la bouche et regardait l’officier d’un œil terne et fatigué.

Une réponse immédiate était nécessaire, et, quoi qu’il pût lui en coûter, Jean Cardignac la fit telle que sa conscience la lui dicta.

— Que Votre Majesté, dit-il, soit persuadée que le choix dont elle a bien